Les métiers d’antan : Le Journalier, brassier ou manouvrier

lundi 20 décembre 2021
par  Francis RENOUT
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Sur la trace de nos ancêtres, sur nos arbres généalogiques, qui n’a pas eu de journaliers ! Le journalier est aussi nommé brassier, manouvrier ou bagotier. En quoi consiste ce métier si fréquemment répandu dans les registres paroissiaux de l’ancien régime ?

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Il est difficile de se faire une idée simple de cette activité à travers les siècles tant les sources sont rares ; et quand elles existent, elles demeurent lacunaires, voire ambigüe. Ceux que Victor Hugo appelait les « petits », les « sans grades » ont formé l’immense majorité des hommes et des femmes, qui à leur manière et dans l’ombre, ont forgé l’histoire. Pourtant, à l’inverse des grands de ce monde, ils ont laissé peu de traces dans les manuels scolaires, disparaissant tout aussi vite de nos mémoires. Quelques personnes, généalogistes ou historiens, ont fait sortir de l’oubli la vie de ces ancêtres.

Le mot français journalier vient du latin médiéval « jornalerius » et peut se rattacher à deux sens : le journal, superficie agraire, ou la juchère, la journée de travail.

Autrefois, dans les villes et les campagnes, les petits métiers foisonnaient. Sous l’ancien régime, quatre personnes sur cinq étaient des ruraux. Bien souvent, le journalier ne possédait rien ou très peu, Certains, plus chanceux, avait un meix (jardin) et un pré. C’est un simple manœuvre ou manouvrier qui louait sa force de travail à temps, à la journée ou à la saison. C’était un travailleur temporaire, non qualifié, situé en bas de l’échelle sociale (juste au dessus des vagabonds et des errants). Il était difficile pour eux de sortir de leurs conditions, étant donné qu’ils étaient tous analphabètes. Un journalier ne connaissait pas forcément son âge, car il n’avait aucun souvenir de son année de naissance. C’était un homme de peine qui travaillait de ses bras. Usé par le travail, il se reconnaissait à ses mains rugueuses et abîmées par les tâches diverses. Il était rémunéré à la journée appelé aussi jour ou journal.

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Mais qui se souvient qu’avant la révolution, le « journal » était une unité de mesure ? Cette unité de mesure correspondait à la surface travaillée par une personne ou par un paysan, à l’aide de deux chevaux ou deux bœufs, en une journée. Suivant les régions, le « journal » équivalait à une surface variable allant de 32 à 42 ares. La surface labourée en un jour était une unité pratique pour l’organisation du travail au quotidien et l’affectation de la force de travail ; surtout lorsqu’il fallait se procurer cette force soit en la louant ou par des corvées. On trouvait des équivalences avec l’arpent et l’âcre.

Poids et mesures sous l’ancien régime :

https://www.histoire-genealogie.com/Les-poids-et-mesures-sous-l-Ancien-Regime

Pour les journaliers, la vie se caractérisait par des périodes d’occupations irrégulières, chez divers employeurs. Le travail restait toujours incertain, même si à chaque saison, on savait pouvoir retrouver la même place chez les mêmes employeurs. Ne pas oublier qu’autrefois, les parcours se faisaient à pieds et par tous les temps. Celui qui s’en sortait le mieux, était celui qui réussissait à se faire embaucher régulièrement ; même si les salaires étaient minimes (5 à 10 sous par jour). Cela permettait plus ou moins de subvenir aux besoins de la famille, à condition que l’épouse cultive un lopin de terre fournissant divers légumes. Ils effectuaient un travail pénible de l’aube au crépuscule. Il aimait cette terre qui le nourrissait et le faisait aussi mourir de jour en jour. En dehors des périodes d’embauches, certains avaient recours au braconnage. On dit souvent que le braconnage est la chasse du pauvre.

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Le journalier dans le monde paysan désignait un ouvrier agricole local. Dans une ferme, le journalier accomplissait les basses besognes ne nécessitant pas de formations : nettoyage des étables, mise en fagots du bois, travaux de terrassement, transport du foin, surveillance du bétail, faucheur, batteur en grange etc....

Les « tauners » étaient dans la société rurale, de petits paysans qui ne possédaient qu’un lopin de terre ou quelques animaux (chèvres, moutons, poules). Ce terme tire son origine de tagwan (gain journalier) ou de tawen (surface qu’un corvéable peut travailler en un jour). Les tauners étaient des gens qui, ne possèdent pas assez de terre pour assurer leur subsistance et qui étaient donc contraints de s’engager comme journaliers.

Au cours du moyen âge, on recrutait des manouvriers pour effectuer le gros œuvre dans la construction. Ils participaient notamment au terrassement des fossés, au creusement des fondations, au transport des pierres ou à l’élévation des remparts dans les villes.

Dans les villes côtières du Pays de Caux, parmi les petits métiers que l’on pouvait apparenter au journalier, on trouvait l’authier ou hottier qui portait les hottes de poissons, le brouettier sur le port de Dieppe et bien d’autres.

Parfois, de petits artisans, des paysans modestes, de petits tisserands ou ouvriers du textile, une fois leurs propres travaux effectués, pouvaient se muer en journaliers pour compléter leur revenus.

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Par contre, les conditions de vie du journalier citadin étaient souvent plus difficiles qu’à la campagne. Il appartenait aux classes populaires. Entassés dans les faubourgs ou les quartiers les plus pauvres, ils glissaient souvent vers la mendicité ou la délinquance.

Le salaire était rarement versé en liquide. Le plus souvent, le règlement était mixte : une partie en argent et le reste en denrées. Concernant les femmes, une journalière gagnait les 2/5 de ce que gagnait un homme au cours du XVIème siècle. Quant aux enfants, ils gagnaient la moitié du salaire d’une femme.

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Ces activités dépendaient aussi de la conjoncture du moment : crises économiques ou politiques, aléas climatiques ou mauvaises récoltes. D’autre part, une maladie, un accident, un décès, pouvaient jeter dans la misère toute une famille. Un journalier de trente ans en paraissait facilement soixante, tant il souffrait de la faim et de la dureté de son travail.

A sa mort, les inventaires après décès montrent qu’ils ont généralement plus de dettes que de biens et la vente de ceux-ci ne suffit pas à rembourser les dettes. Leur femme et leurs enfants sont condamnés à la mendicité.

Les luttes sociales du XIX et du début du XX ème siècle, ainsi que la généralisation du salariat, ont fait reculer le travail journalier. A cette période, la plupart des journaliers travaillaient dans le secteur agricole. Ils étaient 45000 au recensement de 1888 et de 1900 (dont 1/5 ème de femmes).

La mécanisation et l’exode de la population rurale attirée par les emplois industriels, a rendu le travail de journalier en grande partie superflu. En 2021, du point de vue du statut, le journalier s’apparente plus au travailleur saisonnier.

Le monde de nos ancêtres était cependant, n’en déplaise aux nostalgiques, un monde dur, mais surtout différent et révolu, qu’il est nécessaire de connaître. Il ne faut pas oublier que ces hommes et ces femmes du temps jadis, portent notre propre histoire. Ceux-ci ont reçu à leur naissance, une identité, une histoire et une appartenance en héritage. Ce sont nos racines qui nous permettent de nous situer et d’avancer.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Histoires d’antan et d’à présent
La vie d’antan
Thierry Sabot (histoire-généalogie)
Jean Louis Beaucarnot (Ainsi vivaient nos ancêtres)


Documents joints

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