Les Davy de la Pailleterie, ancêtres cauchois d’Alexandre Dumas

vendredi 6 août 2021
par  Francis RENOUT
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La famille Davy est normande de vieille souche. Au XVI ème siècle, cette famille ajoute à leur patronyme celui de leur fief principal : la Pailleterie. De père en fils, ils vécurent quatre siècles sur les mêmes lieux, à Bieilleville, ancienne paroisse devenue aujourd’hui un hameau rattaché à Rouville, à deux lieues de Bolbec, dans le Pays de Caux.

C’est au cours de la guerre de cent ans que les aïeux paternels d’Alexandre Dumas sortent de l’obscurité. L’achat de quelques terres sous Charles VI et Charles VII leur permettra de devenir roturier. En 1470, Olivier Davy, héritier de quelques fiefs, estime que ceux-ci appartiennent depuis assez de générations, pour qu’il puisse s’agréger à la noblesse. Cette noblesse sera confirmée vingt ans plus tard en faveur de Thomas Davy, à l’occasion d’une enquête générale faite dans le royaume, sur la recherche de la noblesse. Plus tard, en 1503, Thomas est qualifié d’écuyer.

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(Thomas Alexandre Davy De la Pailleterie)

Au milieu du XVIII ème siècle, vers 1755, un généalogiste nommé Clairambault étudie les documents de famille et les chartriers. Il confirme que le patronyme Davy vient de David et que le domaine de la Pailleterie se prononce « Paltrie ». Les Davy ont vécu si longtemps sur leurs terres de la Pailleterie qu’ils en ont prit leur nom ; mais ils possèdent d’autres seigneuries. Cette famille a un bel arbre généalogique, avec des armoiries.

Son fils Olivier, écuyer, seigneur de Renneville, épouse Marguerite de Mainbeville. De cette union naît Pierre qui prend le titre « De la Pailleterie ». Le point capital de l’histoire de cette famille, c’est le mariage de Pierre avec une riche veuve de haut rang : Anne De Pardieu. La cérémonie de mariage aura lieu le 17 janvier 1570. Quelques années plus tard, Pierre Décède. Ses enfants seront sous la garde de leur mère le 13 mars 1576.

Veuve une seconde fois, la vie D’anne De Pardieu fut bien remplie. Elle se marie une troisième fois avec Charles De Thiboutot, le 5 janvier 1582, à Yébleron. Vingt six ans après la mort de Pierre, elle fit construire de ses propres deniers le château qui abrita les ancêtres d’Alexandre Dumas, de l’époque d’Henry IV jusqu’à l’année 1789. Cette belle demeure en briques et calcaire blanc, surmontée d’une toiture en ardoises, à traverser le temps jusqu’à notre époque. On peut lire sur le fronton de ce manoir :

« Dame Anne De Pardieu, qui a fait bâtir ce lieu, par la grâce de Dieu, l’an de grâce 1602 ».

Du mariage de Pierre Davy de la Pailleterie et d’Anne De Pardieu va naître Charles le 20 août 1576, à Bielleville. Il deviendra écuyer de la petite écurie du roi et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. L’année même de l’achèvement du manoir, il épouse le 22 juin 1606, à Bielleville, Marthe de Bréville, dame d’honneur de la comtesse de Soissons, dont il aura deux fils Charles et Jacques.

Charles, le fils aîné, né vers 1608, restera fidèle au domaine familial et à sa terre normande. Jacques, quand à lui, se marie en Champagne et utilisera le titre de marquis qu’Alexandre Dumas revendiquait pour son grand-père ; bien que les terres de la Pailleterie n’ont jamais été érigé en marquisat. Charles, Maître d’hôtel ordinaire du roi , se marie le 20 juillet 1632, à Neuville ferrières, avec Catherine Doulle. Un fils, François, naît en juillet 1634, à Bielleville.

François Davy de la Pailleterie, âgé de 32 ans, se marie le 13 juin 1666, avec Marie Restout. De ce couple naît sept enfants dont Alexandre, vers 1674, fils aîné, qui ouvre la série des cinq Alexandre.

Quand Alexandre se marie le 20 juin 1711, à Bielleville, avec Jeanne Françoise Paultre de Duminon, ses parents sont décédés respectivement en 1708 et 1702. Quatre enfants vont naître au château de Bielleville entre 1714 et 1721, dont un décède quelques jours après sa naissance. Parmi ces quatre garçons, on trouve Alexandre Antoine, fils aîné et grand-père d’Alexandre Dumas.

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(Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie au cours d’un combat)

Alexandre Antoine Davy de la Pailleterie :

Alexandre Antoine naît le 26 février 1714 et sera baptisé le 9 octobre de la même année, sur les fonds baptismaux datant du XII ème siècle, dans la chapelle Notre Dame de Bielleville mentionné dès 1248. C’est un bébé fragile qui sera ondoyé au moment de sa naissance à cause du péril de mort. C’est dans ce même lieu que, le 15 novembre, fut baptisé Catherine, fille d’un couple de mendiants, originaire de Wancourt près d’Arras, de retour de pèlerinage à Notre Dame de la Délivrande. Ceux-ci avaient obtenus un hébergement par la famille Davy, dans les communs ou une grange du Château.

Au début du XVIII ème siècle, les trois frères Alexandre Antoine né le 26 février, Charles Anne Edouard né le 27 juillet 1716 et Louis François né le 27 mai 1718, intègrent l’armée. Alexandre François et Louis François s’engagent dans l’artillerie. Charles voulant faire fortune, intègre un régiment en partance pour Saint Domingue où il débarque comme cadet. Suivant les traces de Belain d’Esnambuc, beaucoup de Cauchois partent aux îles pour devenir planteurs ou pratiquer leur métier.

Comparativement à ses deux frères, on sait peu de choses concernant Alexandre Antoine dans la première période de sa vie. On sait qu’il est pendant un temps gentilhomme de la chambre du prince de Conti et aussi commissaire d’artillerie. Il aurait pris part au siège de Philipsbourg à l’âge de 20 ans. On dit aussi qu’il vit oisivement dans son château de Bielleville.

En 1737, son père, Alexandre, tracassé par le fisc vend quelques biens, continuant d’éroder le patrimoine. Alexandre Antoine négocie avec le procureur fiscal afin de se réapproprier les biens vendus. Il du subir une entrevue avec son père paralysé mais sain d’esprit, d’entendement et de jugement, avec la liberté de parole. Il montre qu’il entend préserver le domaine. Il apprend le mariage de son frère aux Antilles et décide à son tour d’y aller faire fortune.

En 1738, après la guerre de succession de Pologne, il part rejoindre son frère cadet Charles qui a quitté l’armée et fait fortune dans différentes plantations de tabac, sucre et indigo, dans la province de Monté Christ au nord de Saint Domingue ; plus précisément à Jaquezy au Terrier Rouge. Installé depuis 1732, c’est l’île la plus riche des Antilles. Alexandre Antoine est de caractère faible et se laisse manoeuvrer par des hommes d’affaires peu scrupuleux. Sa vie de débauche fait qu’il se brouille avec son frère, qui doit honorer ses dettes. Chassé par son frère en 1748 à cause son comportement, il s’enfuit avec une négresse nommée Catin et deux cabroutiers, Rodrigue et Cupidon, et disparaît. Il s’installe au bout de la presqu’île, au sud de l’île, près de la petite ville de Jérémie, très loin de la résidence de son frère. Grâce à la vente de ses trois esclaves, il s’achète une propriété située au flanc de la montagne, d’où dévale un ruisseau, sous le pseudonyme d’antoine Delisle. Cette propriété donne son nom au lieu-dit : la Guinaudée.

Depuis belle lurette, le second des la Pailleterie, Charles, a renoncé à retrouver les fugitifs et il a tiré une croix sur son frère. Son domaine s’est encore agrandi avec la sucrerie de la Mare-à-l’Oie. C’est un colon qui règne sur quelque 190 esclaves, 200 animaux qui lui permettent de vendre pour 200 000 livres de sucre. Mais, souffreteux, Charles regagne la France. Son aîné étant définitivement considéré comme mort, il s’empare de son titre de marquis, fréquente la cour. Et dépense sans compter.

En juillet 1757, leur mère, Jeanne Françoise Paultre de Duminon, âgée de 69 ans, décède à Fécamp. Alexandre père donne procuration à ses deux fils vivants ; mais le notaire s’interroge ? Qu’est devenu Alexandre Antoine ? Est-il réellement disparu ? Dix sept mois plus tard, c’est leur père qui décède, au château de Bielleville, le 22 décembre 1758, quelques jours avant noël. On pense donc qu’Alexandre Antoine, n’ayant pas réapparu au pays depuis au moins quinze ans, est mort.

Alexandre Antoine, quant à lui, est toujours à Saint Domingue. Il acquiert à prix d’or de monsieur de Maubielle, une négresse esclave, d’origine africaine, nommée Marie Césette Dumas, qu’il affranchit. Celle-ci a une fille naturelle Adelphe. C’est une jeune femme d’une grande beauté dont il eut trois enfants mulâtres, un fils Thomas Alexandre, né le 27 mars 1762, à Jérémie, et deux filles Jeannette et Marie Rose. Aucun acte de mariage n’a été retrouvé. Cela s’explique peut-être par le fait qu’il se cachait. Calixthe Beyala, écrivaine camerounaise la donne originaire du Gabon. Son nom dériverait de Dûma, Diginité en langue Fang. D’autres assurent que ce patronyme lui vient des négriers qui la capturèrent.

En 1773, il apprend qu’il est le seul héritier du manoir familial de Bielleville. Il cède ses trois filles avant son départ à un sieur Caron, originaire de Nantes, à l’exception d’un jeune mulâtre, le futur général Dumas, qu’il vendit à réméré au Port au Prince, au capitaine Langlois, afin de payer son voyage vers la France.

A bord du « Trésorier », il débarque au Havre le 4 décembre 1775 sous son identité d’emprunt et descend dans une auberge. Il connaît bien la région. Il fait venir à lui le curé de Bielleville et se fait reconnaître. Le marquis étant réapparu, le comte de Maulde, gendre de son frère Charles, époux de Marie Anne Charlotte Davy, qui occupait alors son château, est sommé de déguerpir. Mais il fait mener une enquête à Saint-Domingue. Elle lui confirme que ce Delisle est bien Davy. Un conflit financier s’engage entre les Maulde et les Dumas. Il va durer des lustres. En attendant, réintégré dans ses pénates, notre marquis vend son château de Bielleville pour 100.000 livres et une rente viagère de 10.000 à verser chez un chirurgien de Bolbec.

Fin 1776, il use de sa clause de rachat et fait venir son fils Thomas Alexandre, sous le pseudonyme de Rétoré. On retrouve père et fils en cavale à Bernay. Puis à Saint-Germain-en-Lay. Le jeune homme va recevoir tout de même une éducation, goûter à la vie parisienne, suivre son père dans ses tribulations libertines. Jusqu’à leur brouille.

Agé de 72 ans, Alexandre Antoine fait scandale en s’affichant avec une maîtresse de 20 ans. Il épouse Marie Françoise Elizabeth Restout, par contrat du 13 février 1786, à Saint Germain en laye ; ce qui fut la cause de la brouille avec son fils. Quatre mois plus tard, Alexandre décède, le 15 juin, dans la ville où il venait de célébrer son mariage.

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(Labouret Marie Louise, épouse d’Alexandre Dumas)

Voici son extrait mortuaire tel qu’il est consigné sur les registres de l’état civil de Saint-Germain-en-Laye :

« Le vendredi 16 juin 1786, le corps de très haut et très puissant seigneur messire Alexandre-Antoine Davy de la Pailleterie, écuyer, seigneur et patron de Bielleville, époux de Marie-Françoise Retou, mort le jour précédent, âgé d’environ soixante et seize ans, a été inhumé au cimetière, messe chantée en présence du clergé et du sieur Denis Nivarrat, bourgeois, du sieur Louis Regnault, aussi bourgeois, amis du défunt, qui ont signé. »

Thomas Alexandre livre alors une bataille de succession avec sa belle mère. Adèle Restout cède tous ses droits de propriété envers Marie Césette, mère d’Alexandre, et sur Jeannette et Marie rose, ses sœurs.

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(Thomas Alexandre Davy au cours d’un combat)

Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie :

Thomas Alexandre naît le 25 mars 1762, dans une plantation de cacao appelée « la Guinaudée », à Trou-Jérémie, dans le sud de Saint Domingue.

Thomas Alexandre dit rétoré s’engage immédiatement dans l’armée après son arrivée en France, en 1776, et prend pour nom de guerre celui de sa mère : Dumas. Il prend le titre de Comte, son père étant marquis. Il fréquente la célèbre académie d’escrime de la Boëssière. Il mène alors une grande vie grâce à la bourse de son père.

Comment un mulâtre né esclave, qui a choisi de porter le nom de sa mère noire, est-il devenu un proche de Napoléon Bonaparte pendant les guerres révolutionnaires ? Il devient le premier général d’origine antillaise de l’armée française.

Le 2 juin 1786, treize jours avant le décès de son père, il entre au service du régiment des dragons de la reine sous le N° 429. Ce fut le duc de Grammont qui reçut son engagement. Il se rend vite célèbre par ses prouesses herculéennes. Pendant la révolution, sa carrière militaire va progresser de manière fulgurante. Il ne passe pas inaperçu du haut de son mètre quatre vingt cinq et de son métissage parmi les hommes de son époque.

En août 1789, le régiment est envoyé à Villers Cotterêts, à la suite des troubles. Le 28 novembre 1792, à Villers Cotterêts, il épouse Marie Louise Labouret , fille d’un notable qui tient l’hôtellerie de l’écu de France et commandant de la garde nationale. Trois enfants naissent de cette union : Aimée (1793/1881), Louise Alexandrine (1796/1797), et Alexandre (1802/1870) qui deviendra romancier.

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Il fait une carrière fulgurante sous la révolution et par après , en participant avec Napoléon Bonaparte, à la campagne d’Egypte, en tant que commandant de la cavalerie de l’armée d’Orient.

Le 22 janvier 1799, il obtient l’autorisation de rejoindre la France pour raison de santé. Craignant un naufrage, son bateau le dépose à Tarente, en Italie. Il se retrouve prisonnier des partisans des bourbons. Les conditions de détentions sont éprouvantes. Il sera libéré le 5 avril 1801, après la signature du traité de paix.

Après deux ans de captivité, il revient estropié de la jambe droite, sourd de l’oreille droite, paralysé de la joue gauche, presque aveugle de son œil droit et atteint d’un ulcère à l’estomac, qui lui sera fatal quelques années plus tard.

A son retour en France, à l’époque du consulat, en 1802, il est victime de l’épuration raciale de l’armée au moment de l’insurrection de Saint Domingue. Profitant de sa mauvaise santé, Bonaparte le met à la retraite et lui refuse toute pension, de même qu’à sa veuve après son décès.

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Après une promenade à cheval, il meurt le 26 février 1806, à Villers Cotterêts, des suites de ses campagnes, accablé par l’attitude de Napoléon Bonaparte et quasiment oublié de tous. Depuis 2002, l’écrivain Claude Ribbe, biographe du général Dumas, mène une campagne pour sa réhabilitation.


Biographie de Thomas Alexandre :

http://www.amis-robespierre.org/Le-General-Dumas-biographie

Campagnes militaires de Thomas Alexandre :

https://forum.napoleon1er.net/viewtopic.php?t=70231

Souvenir d’Alexandre Dumas :

« Je me rappelle avoir entendu raconter à mon père, – j’étais bien enfant, puisque mon père est mort en 1806 et que je suis né en 1802 –, je me rappelle, dis-je, avoir entendu raconter à mon père qu’un jour, revenant à l’âge de dix ans de la ville à l’habitation, il avait vu, à son grand étonnement, étendu au bord de la mer, une espèce de tronc d’arbre qu’il n’avait pas remarqué en passant au même endroit deux heures auparavant ; il s’était alors amusé à ramasser des cailloux et à les jeter au soliveau ; mais tout à coup, au contact de ces cailloux, le soliveau s’était réveillé : ce n’était rien autre chose qu’un caïman qui dormait au soleil.

Les caïmans ont le réveil maussade, à ce qu’il paraît ; celui dont il est question avisa mon père et se prit à courir après lui. Mon père, véritable enfant des colonies, fils des plages et des savanes, courait bien ; mais il paraît que le caïman courait ou plutôt sautait encore mieux que lui, et cette aventure eût bien pu me laisser à tout jamais dans les limbes, si un nègre qui mangeait des patates, posé à califourchon sur un mur, n’eût vu ce dont il s’agissait, et crié à mon père, déjà fort essoufflé :

 Petit monsié, couri droit ! petit monsié, couri gauche ! Ce qui, traduit du créole en français, voulait dire : « Mon petit monsieur, courez en zigzag » ; genre de locomotion tout à fait antipathique à l’organisation du caïman, qui ne peut que courir droit devant lui, ou sauter à la manière des lézards. Grâce à ce conseil, mon père arriva sain et sauf à l’habitation. Mais en arrivant comme le Grec de Marathon, il tomba hors d’haleine, et peu s’en fallut que ce ne fût, comme lui, pour ne plus se relever. Cette course, dans laquelle l’animal était le chasseur et l’homme le chassé, avait laissé une profonde impression dans l’esprit de mon père ».

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :
Robert Landru (les ancêtres d’Alexandre Dumas)
Laurent Quevilly (les racines Haïtiennes d’Alexandre Dumas)
Archives départementales de Seine Maritime


Documents joints

PDF - 1.4 Mo

Portfolio

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