Le Pèlerinage d’un couple de mendiants au début du XVII ème siècle

mercredi 23 juin 2021
par  Francis RENOUT
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Tout comme Françoise, ma curiosité fut attisée à la lecture d’un acte de baptême !

En l’an de grâce 1700, le 4 novembre, à Bielleville, dans le pays de Caux, naît une fille Catherine. Elle est la fille de deux mendiants de passage, Jacob Bleu et Marguerite Noël. Ceux-ci sont venus se loger chez Mr De la Pailleterie, endroit où l’épouse accoucha. Lors du baptême, le 15 novembre, interrogé par le curé, les époux attestent être de religion catholique, revenir de Notre Dame de la Délivrande et demeurer à Wancourt, à deux lieues d’Arras. L’épouse explique qu’elle pensait être de retour « à son pays avant son enfantement et m’ayant requis de le baptiser, elle a été nommée Catherine par Jacques Maline et Catherine Acher de cette paroisse »

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Plusieurs questions m’interpellent à la vue de cet acte : qui est ce couple de mendiants « voyageurs » ? Pourquoi faire ce voyage entre Wancourt et Notre Dame de la Délivrande alors que Marguerite est gravide ? Quel est ce lieu et où se trouve t-il ? Qui est Mr De la Pailleterie ? Voilà de quoi alimenter quelques heures de recherches pendant les jours pluvieux et froids de l’hiver cauchois !

Pour cela, il faut se replonger dans le contexte de la vie de nos ancêtres pour comprendre leur mode de fonctionnement et ne pas réfléchir avec nos réflexes contemporains.

Le village de Wancourt :

Wancourt est un petit village de l’Artois, peuplé de 80 à 100 feux, situé à deux lieues de la ville d’Arras, capitale de cette province du royaume sous l’ancien régime. En 1700, la France est divisée en provinces, certaines ont leurs propres lois, leurs propres privilèges et leurs propres libertés. L’Artois est un de ces territoires à avoir conservé jusqu’à la Révolution, les institutions locales appelées « assemblée d’État ». Dans cette région, il en résulte un isolement plus important que parviennent difficilement à rompre quelques chemins mal entretenus et impraticables en cas d’intempéries. A cette époque, les campagnes vivent encore dans un relatif isolement . Hennebert, ce chanoine audomarois qui répondit en 1790 à la fameuse enquête de Grégoire, disait que : « Les campagnards dans leur immense majorité n’étaient que des rustres, s’exprimant seulement en patois, volontiers enclins aux superstitions ». Cette réflexion est très intéressante pour la suite du récit.

Le culte Notre Dame des Ardents à Arras :

Le nom de l’église Notre Dame des Ardents, à Arras, fait référence à une épidémie qui sévit à Arras et dans tout l’Artois au début du XIIème siècle : le mal des Ardents. Cette épidémie fut guérie pas la Sainte Vierge qui descendit réconcilier deux ménestrels brouillés à mort. Elle leur remit pour en avoir la garde, un cierge divinement, leur assurant que l’eau à laquelle aurait été mêlée des gouttes de cette cire rendrait la santé à ceux qui en feraient usage avec foi. 143 malades furent immédiatement guéris. Tel fut l’origine du culte de Notre Dame des Ardents.

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Arras église notre dame des ardents :

https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Arras/Arras-Notre-Dame-des-Ardents.htm

Arras, la sainte chandelle et le mal des ardents :

http://medieval.mrugala.net/Architecture/France,_Pas-de-Calais,_Arras/Arras,%20La%20Sainte-Chandelle.htm

Notre Dame de la Délivrande :

Notre Dame de la Délivrande est une basilique du XIV ème siècle située à Douvres la Délivrande, en Normandie. Depuis les origines du christianisme dans notre région, les pèlerins les plus divers sont venus y prier la « Vierge Noire ». Succédant à un culte païen, le pèlerinage de la Délivrande est le plus ancien et le plus important de la région. Il était aussi connu que celui du Mont-Saint-Michel pendant le Moyen-Âge.

Le pèlerinage actuel ne revêt plus le côté expédition des siècles passés. L’effort physique lié aux difficultés du trajet qui augmentait jadis les mérites et la piété des voyageurs, a disparu car le pèlerin se rendant à la Délivrande ne circule plus guère à pieds.

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Les mendiants à la fin du XVII ème siècle :

Sous l’ancien régime, la mendicité était réprimée. En réalité, c’était plutôt la répression d’un mode de vie. La sédentarité de certains vagabonds les exposaient à des peines lourdes faites par les baillis et sénéchaux. Quant aux mendiants non domiciliés, craints par les habitants dans les campagnes, ils étaient jugés par le prévôt et les lieutenants de la maréchaussée. La mobilité, quand elle provenait de l’oisiveté, et non de la recherche d’un travail, d’un pèlerinage ou d’un autre motif jugé légitime, devait être jugée rapidement et punie rigoureusement. La justice opérait un tri et punissait ceux qui se déplaçaient pour mendier sa vie, tout en commettant souvent d’autres délits.

On a observé que lorsque le lieu de naissance des enfants de mendiants était signalé, ou le lieu de décès d’un vagabond, il s’agissait presque toujours d’une grange. Il pouvait même s’agir de la grange du fermier seigneurial. Il ne devait pas être trop difficile de trouver un abri pour une nuit. Des femmes logent assez communément des gens de passage. Une question du lieutenant laisse supposer que cela doit être principalement le fait de veuves. Il pourrait s’agir alors de veuves de cabaretier ou de marchands de vin, puisque ces professions offraient souvent le gîte aux vagabonds. Mais beaucoup de veuves peuvent y avoir trouvé une ressource complémentaire.

Certains conservaient des attaches et retournaient voir des parents, des amis, de simples connaissances. L’intérêt de rester à proximité de son pays ou même de son village d’origine n’était pas uniquement matériel. Il ne s’agissait pas seulement de faciliter la recherche d’un travail ou d’un abri. Une valeur particulière, une certaine dignité, était attachée, depuis longtemps en pays de France, à l’enracinement local.

Le pélérinage de Jacob et Marguerite en 1700 :

Comme on vient de le voir, les habitants des campagnes de l’Artois étaient enclin aux superstitions. Nos ancêtres vivaient suivant des schémas immuables imprégnés des enseignements de l’église. Jacob et Marguerite ont du se rendre au culte de la vierge, à l’église Notre Dame des Ardents, à Arras. Avaient-ils un vœu particulier à exprimer ? Est-ce une pénitence imposée par les prêtres ? Avaient-ils des difficultés pour avoir un enfant ? Est ce que les prêtres présents leurs parlèrent de ce pèlerinage en Normandie ? Bien que l’on ne connaisse pas la raison de leur départ, le but du mariage étant la procréation, tout un processus d’attentions, de recettes miracles et de pèlerinages est mis en place pour la favoriser car un mariage fécond est béni par Dieu. On sait que Marguerite accoucha à leur retour de pèlerinage. Quelle que soit la raison, ils décident de se mettre en route. Il faut savoir que dans la France de l’ancien régime, on ne se déplace pas par hasard sur de grandes distances.

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(Basilique Notre Dame de la Délivrande)

Pour que les contemporains sachant lire, puissent connaître l’espace géographique français du XVIe siècle, il existe dès 1552 un ouvrage intitulé "Le guide des chemins de France" conçu par le médecin Charles Estienne, qui répertorie les principaux itinéraires et étapes de voyages, d’après les témoignages de marchands et de pèlerins ayant sillonné le royaume. L’auteur estime qu’il faut trois semaines pour traverser la France du nord au sud, à cheval ! Ces prêtres avaient-ils connaissance de ce livre ? Comme peu de personnes savaient lire, ceux-ci ont pu indiquer les chemins à suivre pour se rendre à Notre Dame de la Délivrande.

La reconstitution des itinéraires des vagabonds est difficile, fragmentaire, entachée d’incertitude. Difficile de reconstituer le trajet aller et retour de Jacob et de Marguerite entre leur départ du village de Wancourt à deux lieues d’Arras, dans l’Artois, et leur but final à Notre Dame de la Délivrande dans le calvados, en Normandie. Soixante douze lieues soit trois cent vingt km séparent Wancourt de Douvres la Délivrande.

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(Basilique Notre Dame de la Délivrande)

Au début du XVIIe siècle, du fait des conséquences des guerres civiles, les voies sont impraticables et peu sûres. Les routes, laissées à l’abandon, usurpées par les riverains, effacées par la végétation, à peine reconnaissables aux quelques ormes qui les bordent encore, ne se distinguent plus de la campagne. Les ponts sont en ruines, les bacs ne répondent plus à l’appel des voyageurs. Il faut quelquefois, pour trouver une route carrossable, se détourner de trente ou quarante lieues. Ce n’est qu’au XVIIIème siècle, sous l’impulsion de Colbert et de Turgot, la reconstruction de routes dignes de ce nom reprît. On trouve même en 1720 un arrêté royal qui ordonne la plantation d’arbres le long des routes principales. Ce sont peut-être là les ancêtres de nos routes départementales ou nationales bordées de platanes.

On ne se déplaçait donc qu’à pieds ou à cheval. On aura compris que le déplacement à cheval était limité à ceux qui en possédaient un, c’est-à-dire, les nobles, les seigneurs et les bourgeois aisés. Les autres se contentaient de la marche à pieds. Les chemins étant de très mauvais qualité et la police n’existant pas, les agressions étaient fréquentes et les déplacements très risqués ! Mais nos ancêtres bougeaient beaucoup et ce malgré des conditions de voyage parfois compliquées et on a du mal aujourd’hui, nous qui prenons la voiture pour aller chercher du pain dans l’hypermarché du coin, à imaginer qu’il y a une centaine d’année, nos ancêtres faisaient parfois 20 km à pied pour aller au marché ! Le voyage de Jacob et Marguerite se calcule en semaines, voire en mois.

Histoire des voies de communications :

https://www.artisanat.ch/reportages/579-histoire-des-voies-de-communication-et-moyens-de-transport-2eme-partie.html

L’accouchement de Marguerite dans le Pays de Caux :

De retour de leur pèlerinage, Jacob et Marguerite arrivent au village de Bielleville au début de novembre 1700. Bielleville, ancienne paroisse, est devenu un hameau rattaché à Rouville. L’hiver est là, froid et pluvieux. Fatiguée d’avoir marché pendant des jours sur des chemins boueux, sous les rafales de vent et les tempêtes du large, Marguerite ressent de violentes douleurs au ventre. Pourtant, elle pensait avoir le temps de retourner dans son village de Wancourt pour accoucher.

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(Chapelle Notre Dame de Bielleville)

Ne pouvant plus continuer leur route, ils vont alors se réfugier au manoir de la Pailleterie dont les propriétaires sont François Davy et Marie Restout, seigneur du lieu. Ceux-ci leurs accordent l’asile. On peut penser qu’ils s’installèrent dans la grange du fermier. C’est là, que, quelques heures plus tard va naître la petite Catherine. Ce qui m’étonne c’est le patronyme mentionné par le clerc ou le curé : Bleu ! Ont-ils bien compris ce que disait Jacob dans son patois local ? Je n’en suis pas sur !

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Onze jours passent avant le baptême de Catherine. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ? Ceux-ci n’étant pas originaires de notre région, le curé a du se renseigner pour être sur que le couple était bien de confession catholique. Pourtant le père porte un prénom biblique ! En général, la cérémonie de baptême se passe le jour même, voir le lendemain. C’est donc le 15 novembre que son père, entouré du parrain et de la marraine se rendent à la chapelle Notre Dame de Bielleville. Cette chapelle dédiée à la vierge y accueillera le grand-père d’Alexandre Dumas, Alexandre Antoine Davy de la Pailleterie, pour son baptême, le 9 octobre 1714.

La famille Davy de la Pailleterie :

Pour résumer l’histoire de la famille Davy, celle-ci commence avec Pierre Davy, sieur de la Pailleterie, qui fut certainement un des personnages principaux de la famille. Leur premier ancêtre vivait à Bielleville depuis 1410. Il était gentilhomme ordinaire de la maison de Marie de Bourbon, duchesse d’Estoutteville, et fut ambassadeur du roi en Suisse. Il fut le premier des Davy qui, en rachetant de Marie de Bourbon les droits seigneuriaux de ces vavassories roturières, prit le titre de seigneur de Bielleville. Ce contrat de vente, fait moyennant 2,115 livres, fut passé à Paris, le 22 juin 1598.

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Quelques temps après le décès de son fils Pierre, son épouse Anne De Pardieu, fit construire le château ou manoir de la Paltrie ou Pailleterie, en briques rouges et calcaire blanc. C’est à cet endroit que sont nés et décédés et ont vécu successivement les descendants de cette famille. En 1738, Alexandre Antoine abandonna le berceau familial pour rejoindre son frère Charles, à Saint Domingue. C’est sur cette île qu’il acheta une esclave qu’il affranchit, Marie Cessette Dumas, avec qui il eût quatre enfants naturels métis, dont Thomas Alexandre, né le 25 mars 1762, à la Guinaudée, qui deviendra le père d’Alexandre Dumas.

http://laurent.quevilly.pagesperso-orange.fr/Postulat.html

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Epilogue :

Le monde de nos ancêtres était cependant, n’en déplaisent aux nostalgiques, un monde dur, parfois noir, mais surtout un monde différent, révolu, qu’il est bon de connaître car ses hommes et ces femmes du temps jadis portent notre propre histoire. Généalogistes et historiens ont fait sortir de l’oubli la vie de nos ancêtres. Nous en sommes les descendants.

Que sont devenus Jacob, Marguerite et Catherine ? Sont-ils retournés dans leur région natale ? On ne trouve aucune trace d’eux en Seine Maritime au cours des mois et des années suivantes. Depuis le début, on s’aperçoit que tout leur parcours est inspiré de la vierge Marie.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Sur une idée de Françoise Lefort (acte de naissance de Catherine en 1700)
Jérôme Luther Viret (vagabonds et mendiants dans les campagnes au nord de Paris dans le premier tiers du XVIII ème siècle)
René Grevet (écoles, pouvoirs et société de l’artois, boulonnais, pas de calais)
Jean Louis Beaucarnot (Ainsi vivaient nos ancêtres)


Documents joints

PDF - 1.6 Mo