Le commerce et les marchands à Dieppe au XVI ème et XVII ème siècle

samedi 15 mai 2021
par  Francis RENOUT
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Le déclin de la ville et du port de Dieppe est tout aussi mystérieux que son essor. Conséquence de l’épidémie de peste qui frappa la ville entre 1668 et 1670 et faucha environ 10 000 personnes ? De la révocation de l’édit de Nantes en 1685 ? De l’impact des guerres, en particulier du bombardement anglo-hollandais de 1694, au cours de la guerre de la ligue d’Augsbourg ? De la concurrence du Havre ou encore de Brest, l’un des principaux ports militaires français à partir du règne de Louis XIV ? Les hypothèses sont nombreuses, mais les archives manquent. Peu de sources écrites ont survécu aux aléas de la conservation excepté le journal de Jean Parmentier de 1529. Dieppe reste auréolée de mystère !

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Tout commence sous le règne de Louis XI qui soutient l’activité corsaire des Dieppois et encourage l’organisation de voyages d’exploration. Sous François Ier, Dieppe connaît un véritable âge d’or, incarné par l’armateur Jean Ango qui arme des navires marchands vers Terre Neuve, le Brésil, l’Afrique et les Antilles. Il joue un rôle clé dans le développement de Dieppe et l’expansion du commerce transatlantique dans la première moitié du XVIe siècle. Le port de Dieppe, un des plus grands ports du royaume à cette époque, est le berceau de hardis navigateurs aux cours du XVIe et XVIIe siècles. Parmi ceux-ci, en 1524, les frères Verrazano découvrent la baie de New York et les côtes du Canada qu’ils baptisent Nouvelle France. A leur suite, les frères Parmentier, à bord de leur navire de trois cent tonneaux, se lancent dans un voyage qui leur permet de découvrir Madagascar et Sumatra.

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(Navire de Jehan Ango)

Durant cette période, Dieppe devient le siège de l’école de cartographie et d’hydrographie sous la direction de Pierre Descelliers qui dessine, en 1546, une carte du monde avec l’Afrique et l’Amérique.

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_cartographie_de_Dieppe

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Au début du XVII ème siècle, ce sont aussi les explorations en Nouvelle France de Samuel de Champlain et de Pierre Chauvin de la Pierre qui ouvrent la voie au commerce de la fourrure. Dieppe est un port de commerce d’abord, mais aussi un port d’embarquement pour de nombreux colons désirant rejoindre le Canada. En 1633, le cardinal de Richelieu accorde le monopole du commerce du Sénégal et de la Gambie pour dix ans à une compagnie de marchands de Dieppe et de Rouen (la Compagnie Rozée), étendue un an plus tard à la côte de Guinée.

La ville s’enrichit de produits exotiques qui affluent dans le port. L’ivoire importée d’Afrique, par les navires de Jehan Ango, donne naissance à un artisanat local très apprécié. On assiste à la naissance de nombreuses dynasties d’ivoiriers. Ces navigateurs ramènent de l’or des Amériques, des teintures du Brésil, de la morue de Terre Neuve, du bois, du tabac, des épices, du sucre, du café, de l’indigo, du coton, du poivre. Ces produits sont très rentables. Les capitaines fondent des compagnies commerciales et établissent des comptoirs en outre mer, pour le négoce.
En 1623, le corsaire Pierre Belain d’Esnambuc colonise l’île de Saint Christophe dans les Caraïbes.

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Histoire du couple Mathieu Delamare et Marie Bauldry :

Lorsque, le 17 octobre 1650, Jacques Dyel, sieur du Parquet, originaire de Cailleville, achete les îles de la Martinique, la Grenade, Grenadine et Sainte Alouzie, son procureur et beau-frère Charles de la Forge, maréchal des logis, domicilié à Pleine Sève, verse immédiatement la somme de 4000 livres en une lettre de change tirée sur le sieur Delamare, marchand à Dieppe. Mathieu Delamare ou de la Mare appartient à une famille de marchands et de marins. Peut-être est-il marin lui même comme beaucoup de marchands à cette époque ? En 1626, un capitaine Mathier Delamare posséde une maison rue de l’avoine qui lui vient de sa femme Marthe Cado.

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(Portrait de Jacques Dyel du Parquet)

A la même période à Rouen, un Mathieu Delamare est verrier patenostrier ; c’est à dire qu’il fabrique non seulement des chapelets, mais des boutons et des objets en verroterie de toutes couleurs et en émail qu’on appele rassades. On exporte ces rassades en Espagne, Afrique ou Amérique. Les capitaines de navires les échangent avec les indigènes contre des denrées précieuses. Ces deux Mathieu Delamare, adonnés l’un et l’autre au commerce colonial, sont-ils parents ?

Un autre Delamare, prénommé Jacques, propriétaire d’une maison dans la grande rue est souvent mêlé aux mêmes affaires que Mathieu. En 1627, en particulier, ils sont associés avec Anne Tiphagne, capitaine de navire, car le 10 décembre, ils présentent tous trois une requête au parlement de Rouen, pour raisons des pertes par eux souffertes, à cause des déprédations de leurs navires et marchandises faites par les anglais. Ils demandent qu’ils leur soit permis, à leurs périls et fortunes, d’arrêter tous les deniers, effets et marchandises qu’ils pourront recouvrer appartenant aux anglais. Cette permission leur est octroyée. Elle est de même accordée à d’autres marchands bourgeois : Thomas Decaux, Thomas le Forestier et Jean Faulcon.

Dieppe fut durement éprouvé à cette époque. Les navires des braves capitaines : Charles Barré, Gilles de Régimont, Jacques Gouvert, Jacques Lambert, Thomas Roussel, etc...furent arrêtés en mer et conduits dans les ports anglais où leurs précieuses cargaisons furent confisquées et pillées.

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(plan de la ville de Dieppe en 1777)

Mathieu fait-il le commerce de pois ? Un arrêt du tribunal de Rouen nous apprend que Mathieu Delamare fut assigné le 15 juin 1633, pour faire connaître le prix d’une mine de pois en 1631. S’il était demandé comme expert, c’est qu’il en faisait certainement le commerce. En entrant dans la compagnie fondée par de l’Olive et du Plessis, il est probable qu’il ait trouvé un débouché pour cette denrée. On sait qu’un navire chargé de pois, faisant route vers la Guadeloupe, fut capturé en mer et n’atteignit jamais sa destination.

Le 28 décembre 1649, considéré comme un des notables de la ville, Mathieu figure à l’élection policiens et trésorier des pauvres. On ne le trouve pas comme échevin car il est certainement de confession protestante. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle on ne trouve pas son second mariage avec Marie Bauldry. A cette époque, il habite rue de l’épée.

Suivant les actes du tabellionage de Dieppe, Mathieu décède avant le 19 septembre 1654. C’est Marie Bauldry qui a la charge de continuer à faire fonctionner les affaires de sa maison de commerce. Cette famille Bauldry avait déjà une belle situation dans le commerce Dieppois. Les parents de Marie ont eu au moins cinq enfants : Gabriel (prénom du père), Paul, Jean et Abraham. Si on n’est pas sur que cette famille soit protestante, on n’a plus de doute avec les prénoms bibliques qu’ils portent.

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(sculpture d’un marin en ivoire)

Suivant les actes du tabellionage, on voit que Marie Bauldry fait beaucoup d’affaires avec Jacques Dyel, alors gouverneur de la Martinique, et ce, avant le décès de celui-ci en 1658. On note aussi les ventes de « négresse » dans cette île, pour le compte de Mr de Courseles, lieutenant, en date du 26 novembre 1660, et pour Guillaume Pépin, bourgeois de Dieppe, en date du 9 octobre 1662, pour la somme de 300 livres. Les transactions avec la famille Dyel sont nombreuses. Le 14 juin 1663, Marie Bauldry verse à Anne Lemoyne, veuve d’Adrien Dyel, demeurant à Limpiville, la somme de 11562 livres. Cette somme provient tant des marchandises que le sieur de Vaudrocques lui a envoyées et qu’elle a vendu pour son compte, que des versements a elle fait par des marchands de France et de Hollande pour le compte de ce dernier.

Lors de deux autres transactions en 1664, on voit que Marie a des rapports avec deux banquiers parisiens, les sieurs Vauquesne et Coshédins. Elle paie à messire Alexandre Dyel, seigneur de la fosse, d’Enneval et de Clermont, les sommes de 1500 et 1187 livres, à quelques mois d’intervalle. Ces sommes proviennent de feu messire Jacques Dyel envers Alexandre Dyel, nommé tuteurs des enfants de son cousin.

Concernant certaines autres affaires, Marie Bauldry figure le 14 février 1667, avec 21 marchands de Dieppe, tous intéressés par des marchandises arrivées dans le navire nommé « l’Espérance », commandé par le capitaine Jean Samson, et par le navire nommé « le pré aux cygnes », commandé par le capitaine Guillaume Thuillier.

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(cadran solaire en ivoire du XVII ème siècle)

Il n’y a pas lieu de s’étonner de voir cette femme à la tête d’une puissante maison de commerce, car la famille Bauldry, d’où elle sort, fait depuis longtemps le commerce des produits tropicaux, particulièrement sur les côtes d’Afrique et surtout en Sénégambie. Ainsi en juillet 1627, le capitaine Bauldry rapporte du Sénégal, pour le compte de Thomas Legendre, marchand à Rouen, 22858 livres de gomme.

En 1694, la forte activité et la réputation des corsaires dieppois vaut à cette ville d’être bombardée par une flotte Anglo-hollandaise. La ville est détruite ainsi que son port et sa flotte. Dieppe va mettre vingt ans à s’en remettre.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Fabrice Quénéa (Zéphyr, pour une histoire de plein vent)
Anne Doridou Heim (les ivoires de Dieppe)
Tabellionage Dieppois (la vigie)


Documents joints

PDF - 1.9 Mo