Sur la route des métiers oubliés : « Chasseur d’ânes »

mardi 26 janvier 2021
par  Francis RENOUT
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Aujourd’hui tombé en désuétude, sinon oublié, nombreux sont les métiers du plus modeste au plus élaboré, qui ont fait vivre plus ou moins difficilement des générations entières de nos ancêtres.

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Le 28 février 1748, décède Jean Saint Germain, à l’hôpital du couvent de la charité de Grainville la Teinturière. Originaire de Bosville, orphelin, âgé de 16 ans, il est le fils du second mariage de Jean Saint Germain avec Marie Anne Dujardin. Il est inhumé au cimetière du lieu. Le plus étonnant c’est une mention concernant son métier. On le dit chasseur d’ânes ! Pendant des siècles, les enfants ont travaillé dès leur plus jeune âge. Mal nourris, maltraités, certains mourraient d’épuisement par le travail ou de maladies diverses.

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Etonné par cette mention du prêtre, j’ai parcouru les pages des registres concernant le couvent pour voir s’il n’y avait pas d’autres mentions de ce genre. En deuxième page du premier registre, sur la période 1741/1769, j’ai trouvé le décès de Jean Prévost, âgé de 27 ans, en date du 23 mars 1741. Originaire de Mautheville sur Durdent où il est né le 19 mars 1714 ; il est le fils du couple Charles Prévost et Susanne Vaillant. Le prêtre le dit aussi : « chasseur d’ânes » !

Il n’y a pas d’autres actes concernant ce lieu et ce métier sur les registres de l’hospice de Grainville la teinturière. C’est le chapelain C.Sangrain qui a oragnisé ses deux inhumations.

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Quelques temps plus tard, la curiosité m’ayant poussé à continuer mes recherches, j’ai retrouvé d’autres actes dans le Pays de Caux.

Adrien Bunaux, né le 9 mars 1721 à Thiergeville, est mentionné journalier, domestique et chasseur d’âne au cours de sa vie. Il se marie le 8 janvier 1743, à Vattecrit, paroisse de Colleville, avec Marie Françoise Bazire et décède dans ce dernier village, le 29 avril 1768, à l’âge de 47 ans.

Adrien Marical, né le 14 novembre 1719, à Bénouville, se marie quatre fois avant son décès, à l’âge de 70 ans, le 17 avril 1790, à Vattecrit, paroisse de Colleville ; les deux premières fois à Ancretteville sur Mer en 1748 et 1749, et ensuite en 1760 et 1780, au village où il pousse son dernier soupir. Quand nait son fils Adrien, en 1749, le prêtre mentionne qu’il est chasseur d’ânes. Les heures passent et les yeux se fatiguent à rechercher dans les registres mais, quelques temps plus tard, on le dit meneur de moulin !

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Désormais, on comprend mieux ce que peut être ce métier de chasseur d’ânes au XVIII ème siècle. Ne cherchez pas la définition dans le dictionnaire, vous ne la trouverez pas ! Si au premier abord, on a tendance à penser à la chasse ; cette idée est vite balayée, et une nouvelle piste se profile. Par ailleurs, je n’ai jamais entendu dire qu’il ait existé des chasses aux ânes dans le Pays de Caux ! En considérant les lieux où vécurent ces différentes personnes, Grainville la Teinturière, Vattecrit, Colleville, on s’aperçoit que ces villages sont bordés par deux fleuves : la Durdent et la Valmont. Et que trouve-t-on en général sur les berges : des moulins.

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Depuis le moyen-âge, dans les vallées, de nombreux moulins ont occupés les onze fleuves côtiers de notre région. La plupart servaient à moudre le blé et à fournir la farine nécessaire à la fabrication du pain qui était l’alimentation de base des habitants à cette époque. Le meunier avait besoin de personnel pour les différentes tâches bien que souvent il travaillait en famille. Il y avait le garde-moulin, le valet de moulin, le chasse-manée - ou - chasse-moute

http://www.guyenne.fr/Association/Secrets_Techniques/Meunier%20Minotier.htm

Concernant le chasseur d’ânes on peut apparenter ce métier au chasse mulet, chasse meunet, chasse mounée, chasse monée, chasse moute ou chasseron. Les termes changent suivant les régions. Coiffé d’un bonnet de coton, la veste toute enfarinée, un fouet enlacé autour du cou, celui-ci va chercher le grain ou les manées et rapporte les sacs de mouture chez les paysans avec un âne, un mulet ou parfois une charrette. Par tous les temps, il parcourt à pieds les villages environnants, empruntant pour cela des sentiers ou petits chemins de terre qui sont praticables par temps sec, mais qui deviennent par temps de pluie de véritables pièges boueux.

Les sacs, qui peuvent peser jusqu’à 80 kg, sont chargés et déchargés à dos d’homme. Tout l’art consiste à équilibrer la charge afin que les animaux ne peinent pas dans les montées et ne soient pas entraînés dans les descentes. Dans le cas des charrettes, qui ne comportent souvent qu’un seul essieu, la qualité du chargement a toute son importance si on veut éviter que l’animal ne se retrouve les quatre pattes en l’air au premier sac enlevé. Il est aussi chargé de faire les petites courses en tous genres pour le meunier. Peu à peu, ce métier s’est éteint à partir de 1793.

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L’âne, appelé le cheval du pauvre, est employé pour diverses tâches dans l’agriculture et dans le transport. Avant l’apparition du chemin de fer, l’âne porteur ou l’âne de bat, de nature très robuste, est utilisé pour transporter des denrées, diverses matières premières et même des personnes. Par sa petite taille, il est plus facile à charger qu’un cheval et de caractère plus placide.

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(Falaises du Tilleul,Pays de Caux)

Ceux que Victor Hugo appelait les petits, les « sans grades », ont formés la majorité des hommes et des femmes, qui à leur manière et dans l’ombre ont forgé l’histoire. Pourtant à l’inverse des grands de ce monde, ils ont laissé peu de traces de leur passage. Au fil de leurs recherches, généalogistes et historiens ont fait sortir de l’oubli la vie de ces ancêtres.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Registres paroissiaux de Seine Maritime


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