Nos ancêtres et les loups

lundi 23 novembre 2020
par  Francis RENOUT
popularité : 4%

Aussi loin que l’on remonte dans le temps, le loup a toujours fasciné les hommes. C’est une longue histoire de passion et de peur.

https://www.ferus.fr/loup/le-loup-biologie-et-presence-en-france

Des bandes de loups ravageaient autrefois le pays de Caux. Notre région était couverte de bois et de forêts. Actuellement, on nous parle du retour d’un loup en Seine Maritime, qui aurait été observé près de Londinières, près de la forêt d’Eawy !

https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/loups-normandie-histoire-ancienne-1818058.html

PNG - 214.8 ko

Autrefois, jusqu’au XVIII ème siècle, loin d’être une légende destinée à effrayer les enfants, le loup fut une menace quotidienne pour les normands. C’était l’animal le plus répandu sur la planète. En témoignage, il nous reste les noms de villes, villages ou lieux dits comme Chanteloup ou Cantelou (Ecrainville), Louvetot, la mare aux loups (Croixdalle), Val aux loups (Criquetot le Mauconduit), la chambre aux loups (Nesle en Bray), « la fosse aux loups » ou « la cavée aux loups ».

https://www.ferus.fr/wp-content/uploads/2019/04/monographie-loup-roger-mathieu.pdf

« Or, vers le milieu de l’hiver de cette année 1764, les froids furent excessifs et les loups devinrent féroces. Ils attaquaient même les paysans attardés, rôdaient la nuit autour des maisons, hurlaient du coucher du soleil à son lever et dépeuplaient les étables. Et bientôt une rumeur circula. On parlait d’un loup colossal, au pelage gris, presque blanc, qui avait mangé deux enfants, dévoré le bras d’une femme, étranglé tous les chiens de garde du pays et qui pénétrait sans peur dans les enclos pour venir flairer sous les portes. »

PNG - 897.3 ko

En 1882, Guy De Maupassant nous relate cette histoire familiale racontée par le marquis d’Arville lors d’un dîner.

http://maupassant.free.fr/textes/loup.html

Le loup à travers les époques :

Au moyen-âge, l’image du loup va se modifier. Les guerres, les famines, les épidémies vont se succéder durant ces siècles troublés. Les loups au même titre que les renards, vautours, aigles, chacals vont se nourrir des cadavres laissés sur les champs de bataille. Au cours des hivers très rigoureux, ceux-ci vont se rapprocher des villes et des villages, d’où les craintes des habitants. Certains, pendant la nuit, entendaient leur souffle derrière la porte. Il devient un animal terrifiant , dévoreurs d’êtres humains, que l’église s’empresse de dénoncer comme le symbole du péché. Il est associé au mal, à la sorcellerie et aux loups garous. Desservi par une si mauvaise réputation, le loup est traqué et chassé pendant des siècles. Chassant en meute, il est capable d’emmener un mouton.

Le 27 mai 1454, un laboureur de Quevillon, Jehan Vaquelin, demeurant en l’hôtel de la Rivière-Bourdet, reçut du vicomte de Rouen, Guillaume Gombault, 45 sols tournois dus en vertu d’une ordonnance royale. On le récompensait d’avoir "prins et desniché de dessoubz dune vielle souche dun gros arbre estant en une halte et espesse touffe de genetz, en la forest de Roumare, environ dessus Dieppe Dalle, en la garde Jehan Briffault, sergent de la dite forest de Roumare, cinq leups et deux leupves, petits, jeunes, de ceste anne présente. Lesquelz il a apportez a justice et exhibez ainsi quil appartient (...) Devant Guillaume Duval, clerc, tabellion a Rouen (...) present Pierre Vincent et Colin Le Conte. (Annale de Normandie)

PNG - 443.6 ko

Avant la révolution, en dehors des animaux (chevreuils, cerfs, chamois, petits mammifères et moutons), les victimes étaient souvent des femmes et des enfants. Ceux-ci, très jeunes, devaient emmener et garder les troupeaux de moutons à l’orée des bois. Ils étaient des proies faciles, isolées et très exposées. A cette époque, il n’y avait que les nobles qui bénéficiaient de port d’armes et de meutes de chiens qui pouvaient donc tuer les loups. Entre 1684 et 1711, sous l’effet des grandes chasses royales, on assiste à une forte baisse.

Entre 1764 et 1767, dans l’actuelle Lozère, sévit un monstre velu et griffu qui se serait rendu coupable d’attaques répétées à l’encontre des troupeaux, des bergers, des femmes et des enfants. Nommé la bête du Gévaudan, ce loup féroce sema la terreur dans la région. Il y eut 119 morts et 52 blessés. Louis XV fit organiser des battues menées par ses meilleurs louvetiers. A l’issu de ses actions, plusieurs énormes loups furent tués. Cette étrange histoire, qui fit de nombreuses victimes en trois ans, ne fut jamais complétement élucidée.

On attribue généralement l’institution de la louveterie à Charlemagne, même si c’est François I qui établit le premier lieutenant de louveterie du royaume. Supprimée brièvement pendant la révolution, cette institution est rétablie sous l’empire.

Après la révolution, le loup eut plus de difficultés à lutter face à l’homme. Le port d’armes s’était démocratisé et les fusils, plus précis et plus rapides, firent mouche plus souvent.

PNG - 341.3 ko

Une politique d’éradication des loups au XIX ème siècle :

Face aux multiples dangers que représente le loup, les élus de la IIIème République ou les préfets mettent en place une stratégie pour éradiquer le loup des territoires normands. 

Des battues sont organisées, des primes aux loups sont versées à ceux qui tuent les bêtes responsables de la mort ou de la mutilation d’êtres humains et d’animaux. En Normandie, ces primes sont fortement augmentées pour inciter les habitants à partir à la chasse aux loups. A cela s’ajoute une nouvelle législation qui augmente le nombre de chasseurs et l’évolution technologique du fusil. Deux coups peuvent être désormais tirés. Ces facteurs réunis ont entrainé la disparition du loup en Normandie. La dernière prime aux loups dans la région a été octroyée en 1888. Pour toucher le pactole, le chasseur devait avoir coupé les deux oreilles de l’animal et les avoir ramenées aux autorités. 

La nationalisation des primes pour éradiquer les loups (1789/1928) :

http://www.unicaen.fr/homme_et_loup/primeseradication.php

PNG - 354.3 ko

Le loup dans notre région attesté par les registres paroissiaux :

Dans un temps où notre région était couverte de loups affamés, le vicaire de Vibeuf avait refusé de desservir les églises de la Fontenaye et de Thibermesnil. En 1684, année du grand hiver très froid, Raulin le Carpentier, curé de Néville, nous relate l’histoire de chasse aux renards et aux loups.

« A Saint Vaast Dieppedalle, le 17 juin 1700, a été inhumé dans le cimetière, le corps de Jacques le Carpentier, âgé de 3 ans et 3 mois, fils de Pierre Carpentier et de Jeanne Estienne, lequel a été estranglé par un loup, d’heure après midi.... »

PNG - 114.7 ko

« A Oherville, le 23 ème jour d’août 1700, a été inhumé dans le cimetière, le corps de Claude Hamel, âgé de trois ans et quatre mois, dévoré par la bête puissante, mangé dans les bois..... »

PNG - 273.6 ko

« A Tonneville, le 28 novembre 1707, a été trouvé le corps de Charles Depaul, mangé à moitié par des bestes dans le creux d’un focé après plusieurs jours de recherches, en son vivant bon catholique et inhumé le même jour dans le cimetière du lieu »

PNG - 171.8 ko

« A Petit Couronne, le 10 août 1730, a été inhumée le corps d’une fille dénommée Marguerite, fille de …., originaire de la paroisse de Houlbec en Roumois, demeurante chez Nicolas Drouart depuis huit mois, morte de la morsure d’un loup dans la forêt selon le rapport de plusieurs habitants de la paroisse. Le corps rapporté chez Jean Drouart, beau-père du dit Drouart ; la dite Marguerite âgée d’environ douze ans. »

PNG - 195.8 ko

Cet acte nous instruit sur les conditions de vie de nos ancêtres au XVIII ème siècle. Il atteste la présence des loups dans la forêt du Rouvray. L’identité de la victime, âgée d’environ douze ans, n’est pas mentionnée. Cela laisse supposer qu’elle n’était pas une parente de la famille Drouart mais une domestique. Sous l’ancien régime, le temps de l’enfance n’existait pas sauf dans les classes privilégiées. L’enfant était d’abord considéré comme une force de travail. Une lente évolution améliore sa condition avec notamment la création des premières lois sociales au XIX ème siècle.

« A Saint Denis le Thiboult, le 9 septembre 1770, inhumation dans le cimetière par nous prêtres curés de cette paroisse, du corps de Denys Damas Joseph Basseleu, fils de Denys Basseleu et de Françoise Dubosc, estranglé du jour précédent et mangé en partie par une bête féroce, âgé de cinq ans et neuf mois... »

PNG - 203.4 ko

Un dépouillements d’archives paroissiaux par Jean Marc Moriceau parvient à retrouver à partir des débuts de l’ancien régime jusqu’en 1918, plus de 1100 cas de prédations de l’homme par le loup, qu’il distingue des décès à la suite des morsures de loups enragés (plus de 400).

Epilogue :

Le loup a laissé son empreinte dans la culture française au travers de l’histoire de la bête du Gévaudan et par le biais de contes et légendes comme « le petit chaperon rouge » ou « le loup vert de Jumièges » . Religieuse native du Pas-de-Calais, sainte Austreberthe dirigea un monastère pour femmes en Seine-Maritime. La légende raconte qu’un loup vert dévora l’âne chargé d’apporter le linge des moines de Jumièges aux nonnes de Pavilly.

http://jumieges.free.fr/loup_legende.htm

PNG - 647.5 ko

Le status et l’image du loup sont encore bien fragiles dans les mentalités. La peur du loup est un héritage du passé. Il faudra du temps pour que ces prédateurs cessent d’être victimes de persécutions et soient acceptés par les hommes. Espérons qu’un jour, celui-ci pourra vivre en bonne entente avec les hommes.

Livre de J.M Moriceau « sur les pas du loup » :

https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/loups-normandie-histoire-ancienne-1818058.html

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Histoire pour tous (le loup et les hommes)
Registres paroissiaux de Seine Maritime


Documents joints

PDF - 1.5 Mo