Le drame mystérieux de la villa Bellevue

lundi 8 juin 2020
par  Francis RENOUT
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Ainsi titrait le journal « le petit parisien » au sujet d’un sombre drame, un drame dans lequel l’amour et l’alcool ont joué les rôles principaux et qui s’est déroulé à Saint Valery en Caux, petite ville située sur le littoral du Pays de Caux, le 2 octobre 1906.

La découverte d’un pêcheur de crabes :

Le mercredi 3 octobre, vers 15h, le père Gabelot, un vieux pêcheur de crabes bien connu des valeriquais et des baigneurs, ayant en main son crochet et sa hotte sur le dos, commençait sa recherche dans les rochers , en direction des falaises d’amont. Comme à son habitude, il longeait le pied de la falaise, haute de 60 mètres à cet endroit. Il marchait la tête baissée dans l’espoir de retrouver quelques lapins, que le hasard, fait souvent tomber de la crête de la falaise.

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Tout à coup, derrière un énorme bloc de craie depuis longtemps détaché de la falaise, il aperçoit une masse noire informe, dont il s’approcha avec curiosité. Il reconnait un cadavre de femme. Il ne s’en émeut pas plus autant, car c’est au moins le cinquantième cadavre qu’il découvre ainsi depuis un demi-siècle qu’il fréquente la grève. Il appelle d’autres marins pêcheurs Marius Grainville, Pihan et Letellier qui accourent vers le lieu du drame. Ceux-ci courent prévenir le commissaire Saffanges qui fait les premières constatations.

Le mot mystérieux :

La femme est étendue sur le côté. On voit une horrible blessure à la tête d’où le sang s’éest abondamment répandu. La mer est venu lécher le cadavre au cours de la marée haute. Le commissaire fouille les vêtements pour connaître l’identité de la personne. A l’intérieur des poches, il trouve deux foulards de soie blanche : dans l’un est noué une pièce de 5 francs ; dans l’autre, il y a deux porte-monnaie. L’un contient une somme de 40 francs et l’autre un talon de mandat, une médaille en argent et une chaînette de métal. En ouvrant le corsage de la victime plusieurs papiers s’en échappent : deux livrets de caisse épargne l’un de 1347 francs au nom de Louise Marie Noël, femme Fisset, l’autre 568 francs au nom d’Ernest Fisset, mari de la victime.

Le commissaire demanda alors aux pêcheurs s’ils connaissaient cette femme ? "Bien sur" dit le père Gabelot "Qui ne connaît pas la « Fisset » à Saint-Valdy" ! Celle-ci est concierge à la villa Bellevue située sur la route de Dieppe. Son mari est un ancien douanier. Les conversations vont bon train parmi la foule des curieux, les uns déclarant qu’elle s’était suicidée, les autres pensant plutôt à un accident. Mais du corset de la femme Fisset, le commissaire sort un papier imprimé, plié en quatre. En dépliant le document, apparait une carte de géographie, celle de la France du sud-ouest. Sur le fond colorié, il voit des caractères écrits à l’encre noire. On distinguait : « je meurs mais je mait pas fait mourir, Ceux n’ai pas moi, j’étais aussi ….... » A la place des points un mot était effacé par l’eau de mer ; peut-être « sacrifié ».

Après un examen superficiel pratiqué par le docteur Augustin Alexandre Mosqueron, âgé de 52 ans, le corps est transporté à la morgue par une voiture prêtée par l’hôtel Vattier. La nouvelle de la macabre découverte s’est répandu dans Saint Valery en Caux.

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Une maison silencieuse :

Après avoir prévenu le juge de paix Monsieur Pettigny, le commissaire de police auquel s’est joint Monsieur Cogny, maréchal de gendarmerie, se rend à la villa Bellevue pour prévenir Fisset du décès de son épouse. Cette villa qui se trouve à un km du centre ville, sur la côte montant à Dieppe par Veules les Roses, est une bâtisse construite moitié en briques, moitié en pierres du pays. Elle domine la gare, et de ses premiers étages on découvre tout le vallon où la ville est tapie, le port, la rade et aussi la campagne environnante.

On accède à la propriété par une petite barrière brune qui donne sur un chemin bordé, de chaque côté, par des buissons d’acacias. A vingt mètres de la barrière, on trouve une buanderie, une maisonnette composée de deux pièces qui est la demeure de la famille Fisset, un cellier, et enfin la villa, dont le premier étage donne directement sur la route qui descend en ville. Cette villa appartient à Mme Levasseur, domiciliée rue Arago, à Paris. Elle vient de la quitter ce dimanche 30 septembre, après y avoir passé les trois mois de la saison balnéaire. L’habitation des Fisset et les petits bâtiments qui l’entourent sont couverts de rosiers grimpants.

Les magistrats, arrivés à la villa, sonnent à la porte. Personne ne répond. Comme la barrière n’est pas fermée, ils frappent à la porte du concierge. Leurs tentatives restent vaines et ce silence devient inquiétant. Que s’est-il donc passé ? Le mot trouvé sur le cadavre de Marie Louise Noël semble faire pressentir quelque tragique affaire. Ils décident de défoncer la porte. Pour cela, il font venir le maire Mr Doutrelaut dont la présence est nécessaire pour cette opération. Le serrurier fait alors ce travail.

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Les traces du crime :

A peine la porte est-elle ouverte, que les magistrats aperçoivent sur le sol de la cuisine, au seuil de la chambre, une large flaque de sang noire et coagulée. Il y en a aussi sur le mur à hauteur d’homme et sur le buffet armoire. L’intérieur de la cuisine démontre qu’il y a eu une lutte. A terre, une chaise est renversée, à moitié tombée dans l’âtre de la cheminée. Sur la table, deux tasses ayant contenu du café et une casserole en fer blanc sont renversées. Sur une autre table, près de la fenêtre, on découvre une soupe aux pommes de terre et aux poireaux. A côté, une boîte à ouvrage et du linge ensanglanté ainsi que des serviettes, trempant dans une cuvette, maculés de traces sanglantes. Plus loin, on trouve un atlas d’enfants dont une page manque. C’était celle que l’on avait trouvée sur le cadavre de Marie Louise. Dans la chambre, rien d’anormal. Qui peut avoir été assassiné si ce n’est le père Fisset lui-même ? Mais où est son cadavre ?

Le puits fatal :

Les magistrats sortent pour inspecter les autres bâtiments. Dans la buanderie, trempant dans les baquets, on découvrit des draps, des taies d’oreiller et un jupon de femme, tâchés de sang. Enfin, dans un fût situé au coin du jardin, sous une gouttière, on trouve tout au fond, un pantalon de treillis et une chemise de cotonnade rayée. Toutes ces découvertes ne mettent pas les magistrats sur la trace du cadavre d’Eugène Ernest Fisset.

Ils commencent à désespérer de le trouver à la villa lorsque des traînées sont remarquées sur le galet d’un petit chemin conduisant directement à un puits. Celui-ci est profond d’une quarantaine de mètres et dissimulé dans un bosquet de lilas et de sureau. Ils n’ont plus de doute ! Le cadavre a du être transporté de la maison au puits. On voit bien sur le sol, que quelque chose de lourd a été porté ou traîné. Les recherches se portent donc sur ce puits qui communique avec la mer. Il ne reste plus qu’à retrouver le cadavre !

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Pour permettre de se procurer le matériel nécessaire à l’exploration du puits, Mr Petigny suspend l’enquête pendant une heure. Vers 20h30, on peut enfin, avec l’aide de grappins et de lumière descendus au fond du puits, procéder au sondage. Avec bien des difficultés, à cause de la grande profondeur, et au bout d’une heure d’essais infructueux, le grappin accroche enfin une masse lourde qu’on ramene avec précaution au ras de l’eau. Le juge de paix, muni d’une jumelle, aperçoit distinctement une masse de chair d’où paraît sortir deux membres. Le corps est à moitié nu. Il est laissé provisoirement où il est, le temps de trouver un puisatier. Il faut que quelqu’un descende dans le puits, pour attacher le corps, afin de pouvoir le remonter, de manière à ne pas l’abîmer, pour faciliter les constatations légales, à l’arrivée du parquet.

Les relations du couple Fisset :

Il reste à reconstituer le crime ! Ils recherchent dans les relations du couple pour connaître leurs fréquentations et leur genre de vie. Plusieurs témoins répondent aux diverses questions des magistrats présents. Ils apprennent qu’Eugène Ernest Fisset est né à Sotteville sur mer. Ce qui est faux puisque l’on retrouve sa naissance le 9 février 1853 à Saint Valery en Caux. Il y a une confusion du journaliste avec la naissance de son épouse Marie Louise Basilide Noël, le 12 juin 1862, à Sotteville sur Mer, fille de Jean Baptiste, tisserand et de Marie Louise Thomas. Eugène Ernest était douanier, fils de Louis Nicolas Fisset, tisserand, et d’Ismérie Bénédicte Coursier, tisserande, originaires de Saint Valery en Caux.

Eugène Ernest a un grave défaut, comme beaucoup d’autres personnes en ce début du XX ème siècle, c’est celui de boire. Il ingurgite jusqu’à un litre d’eau de vie par jour ! C’est vous dire dans quel état d’ivresse il se trouvait continuellement ! A cette époque, en 1906, retraité des douanes, il est terrassier chez Mr Bouchard ou occupé à des travaux de jardinage. C’est un travailleur mais aussi quelqu’un de très jaloux. Jaloux, il y a de quoi l’être ! Son épouse, une brune, a une conduite légère et de nombreux amants. Elle est bien connue pour cela dans le bourg. Parmi ces derniers, on cite un nommé Justin dit Affagard, domestique, de son vrai nom Paul Joseph Leroux. Encore une erreur du journaliste car, en fait, il se nomme Lebourg. Agé de 24 ans, il a été récemment libéré du service militaire, qu’il accompli à Rouen, au 119 ème régiment d’infanterie. Il demeure au domicile de sa mère et de son beau-père, dans une petite ferme, à Anglesqueville-les-Murs, hameau de Saint Sylvain.

Le lundi et le mardi, Lebourg a été vu à plusieurs reprises , avec la femme Fisset. Par contre, Eugène Ernest a disparu depuis lundi. Ce jour là, il devait aller travailler avec le jardinier, Mr Gaston Michel, chez Mr Bouchard ; mais il n’est pas venu. Durant cette matinée, une de ses voisines, Mme Mayeu, l’a entendu crier dans le jardin.

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Le mardi matin, un autre voisin Mr Henri Lepage, cocher chez Mme De la Presle, dont le jardin borde celui de la villa, l’a vu prendre l’air vers 6h45. Il a entendu les éclats d’une vive discussion entre les époux Fisset. Eugène Ernest reprochait à son épouse « d’avoir fait la pu... toute la nuit ». Depuis ce moment, personne ne l’a revu.

Au cours de l’après midi, Lebourg et Affagard, beau-père de ce dernier se trouvaient au café Louis Jean où ils ont consommé une bouteille de cidre bouché ; puis, ensuite, au café Canchel où ils ont pris encore du cidre et une liqueur. Après s’être séparés, ils se sont retrouvés chez les époux Fisset vers 18 heures. Entre temps, Affagard est allé voir la foire aux oignons sur la place du marché. A 16 heures, Affagard a pris le café avec Eugène Ernest dans la cuisine et discuté pendant deux heures accompagnés d’une bouteille de rhum. Vers 18 heures, Affagard est sorti de la maison avec Marie Louise et a rencontré Lebourg qui revenait du bourg. Ils sont allés dans la remise où Marie Louise leur a offert quelques bouteilles de vin, "quelquefois qu’ils aient encore soif" !

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Affagard s’est demandé pourquoi Marie Louise les avaient entraînés dans la remise ? Il comprit quand il vit celle-ci cajoler son amant de façon scandaleuse et ce, devant témoin ! Cela ne la gênait pas ! Affagard était tellement ivre, qu’il ne se rappelle plus avoir par la suite, soit dormi dans la remise ou le jardin. Finalement, il a dormi sur un tas d’objets mis en débarras dans cette pièce. Ce petit homme aux allures tranquilles, sincère et jouissant d’une bonne réputation, n’a qu’un défaut : celui de boire souvent et plus que de raison. Son rôle dans cette affaire est celui d’un témoin passif.

Le juge de paix détache alors deux gendarmes à Anglesqueville-les-Murs, de façon à ramener Lebourg à Saint Valery en Caux, sous prétexte de renseignements militaires. A l’arrivée des gendarmes, celui-ci est attablé avec ses parents devant un plat de vignots.

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Au début du trajet, il ne dit mot, mais arrivé à Saint Valery en Caux, il dit en s’adressant à l’un des gendarmes : « si c’est pour l’affaire Fisset que vous me cherchez, je suis innocent ». « - Innocent de quoi, lui demanda le gendarme ? ». A ce moment là, il reste muet. Arrivé route de Dieppe, Lebourg commençe à flancher. Les gendarmes doivent l’aider à marcher. Quand il est devant la villa, son hésitation devient plus grande encore, surtout quand on veut l’amener auprès du puits. Les magistrats n’insistent pas et il est amené au commissariat. Il s’affale sur un banc et est pris d’une terrible crise nerveuse lorsqu’on veut l’interroger. On le laisse tranquille toute la nuit.

L’arrivée du parquet et l’autopsie :

Le jeudi, Lebourg extrait de la prison, accompagné du brigadier Perron et du gendarme Anceau, prend avec les magistrats du parquet d’Yvetot, Mr Thibierges, procureur, Mr Langlois, juge d’instruction, Mr Olivier, avocat et Mr Caumont, commis greffier, le premier train à Motteville pour rejoindre la gare de Saint Valery en Caux. A toutes les gares échelonnées sur la ligne, de nombreux curieux se pressent aux barrières pour apercevoir Lebourg. Arrivés à Saint Valery en Caux, à 12h46, plus de trois cent personnes, pour la plupart des femmes, sont massées contre les barrières qui bordent le chemin menant à la gare de marchandises.

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Un break de l’hôtel Brard l’attend pour le transporter à la villa Bellevue. Celui-ci part au grand galop. Bientôt, c’est une ruée folle de la foule derrière le véhicule qui crie : « A mort ! A l’eau ». Femmes, filles, enfants s’engouffrent dans la rue des corderies. Au milieu de la foule, on remarque un photographe. Les personnes prennent un raccourci et grimpent sur le coteau par le petit sentier du poteau qui les conduit à la maison du crime. Commissaire de police et gendarmes sont obligés d’organiser une véritable chasse à travers les bosquets de la villa qui est envahie par un grand nombre de personnes. Celles-ci se glissent à plat ventre sous les haies trouées. La mère de Lebourg, Philomène Adèle Christophe et son beau père Affagard sont aussi convoqués.

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Un ouvrier de l’entreprise de maçonnerie Leveuf, Mr Saillot, descend dans le puits afin de remonter le corps.

L’autopsie effectuée par le docteur Mosqueron et par son adjoint le docteur Beaugeois démontre qu’Eugène Ernest Fisset avait été assommé avec une massue ou un gourdin, peut-être un côtret. Il a d’énormes plaies à la tête, le cuir chevelu étant complétement décollé du crâne. Il a aussi quelques blessures sur le visage. Dans le courant de l’après midi, on autopsie sa femme. Les docteurs constatent qu’elle est décédée d’une fracture du crâne et d’un défoncement de la cage thoracique.

Les magistrats entendent plusieurs témoins dont le plus important Mr Gaston Michel, jardinier. Il déclare être venu le matin chez Fisset mais que personne ne lui avait répondu. Il s’en allait quand la mère de Lebourg, Philomène Christophe, arrivait. Elle lui dit qu’il ne verrait pas Fisset car elle l’avait rencontré la veille, saoul et la figure ensanglantée. Son fils, Paul joseph dit qu’il n’avait rien au visage. Il y avait donc une contradiction flagrante entre les deux déclarations ! La mère mentait pour protéger son fils. Elle raconta que c’est Marie Louise qui attirait son fils depuis plus d’un an ; au point que lorsqu’il avait une permission, il ne venait plus à Saint Sylvain. Au mois d’avril, il avait eu une permission de vingt jours. Paul Joseph était resté deux semaines chez les Fisset, vivant avec elle comme si c’était sa femme. Bien des fois, sa mère en fit part à Mr Bocquet qui tient le café de Rouen et des tribunaux.

Les relations de Marie Louise et de Paul joseph Lebourg :

Paul joseph Lebourg fréquentait le couple Fisset depuis longtemps. De plus, les deux amants ne se cachaient pas ! Est-ce que le mari ignorait les relations de son épouse ou les tolérait-il ? On penche plutôt pour la deuxième version vu le caractère jaloux du vieux douanier. Celui-ci était âgé de 53 ans et son épouse, plus jeune, avait 44 ans. Quand à l’amant, il n’avait que 24 ans.

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D’ailleurs, cela lui arrivait de coucher dans le deuxième lit, dans la même chambre que les époux Fisset. Le vendredi de la semaine d’avant, des personnes les avaient vu passer, main dans la main, devant la gare, sur un chemin qui rejoint sur l’autre côté la route de Cany. Le mardi soir, alors que l’on n’avait pas vu le père Fisset depuis la veille au matin, ceux-ci folâtraient dans le potager de la villa et paraissaient très gais. Une dame Mayeux qui habite à côté les a vu vers 17 heures.

Marie Louise était fatiguée de vivre avec ce mari saoul toute la journée. Elle pensait certainement s’en défaire pour vivre avec son amant.

La reconstitution du crime :

On pense que, ivre le matin, Eugène Ernest, resta à cuver son alcool une bonne partie de la journée dans sa chambre. Le soir, il soupa avec Paul Joseph Lebourg et son épouse. Une discussion s’élèva entre ce dernier et le douanier. On devine le motif ! Fisset se mit en colère et se trouva assommé. Le mari tomba sous un coup violent sans que cette blessure soit mortelle. L’assassin s’acharna sur lui, puis la rage passée, le porta sur le lit, aidé de sa femme. Les deux complices essayèrent d’étancher les blessures avec des serviettes trempées dans l’eau d’une cuvette retrouvée sur la table de la cuisine. Mais le père Fisset succomba à ses blessures. Que faire du cadavre ? L’amant décida alors de le jeter dans le puits.

Dehors, la tempête faisait rage. De fortes bourrasques de vent de sud-ouest soufflaient de 21 heures jusqu’au matin. Le vent hurlait dans les arbres et les feuilles tombaient en tourbillons. Cette villa construite en bord de route, est composée à l’arrière, d’un parc où s’élèvent quelques arbres. Arrivés à la margelle du puits, les assassins précipitèrent le corps dans le gouffre. Ceux-ci ont froids. Pour se réchauffer, ils boivent un café. On ne retrouve que deux tasses le lendemain.

Marie Louise lui dit alors : « Maintenant que je n’ai plus de mari, que je suis veuve, tu vas pouvoir te marier avec moi ». Mais Paul Joseph répond négativement. Marie Louise lui dit qu’il va s’en repentir ! Il retire son pantalon de treillis et sa chemise, que Marie Louise va jeter dans la barrique au fond du jardin, en même temps que, dans un paquet, elle enfonce les draps et les taies d’oreiller ensanglantés. Avec des effets de rechange, le meurtrier s’en va, laissant seule Marie Louise par cette nuit lugubre, dans cette maison sinistre.

A 4h30 du matin, Lebourg réveilla Affagard en le secouant violemment et tous deux partirent à Anglesqueville. Les coqs commençaient à chanter. Une habitante d’Ingouville sur Mer, Mme Jouette, journalière, occupée à puiser de l’eau dans la mare, les vit passer vers 5h45. Elle vit qu’ils avaient l’air très préoccupés.

C’en est trop pour Marie Louise ! Effrayée par la responsabilité encourue, accablée par les remords, elle écrit quelques mots sur la feuille arrachée de l’atlas ; puis au cours de la nuit ou au petit jour, elle rejoint la falaise et se suicide. Concernant l’heure, c’était avant 7 heures ; car à cette heure là, un tâcheron, Mr Balthazar était occupé dans une carrière à casser des cailloux, en face la villa, et aurait vu Marie Louise s’engager sur la route ou dans les champs.

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C’est la première fois, de mémoire de Valeriquais, qu’on entend parler d’un crime dans cette ville. Quelques membres de cette famille eurent aussi un triste destin ! Il y a quelques années, le fils aîné, Eugène Ernest Fisset, né le 2 mai 1883, âgé de 18 ans, marin, se jeta à la mer, du haut de la côte, le 18 septembre 1901. Celui-ci fut témoin malgré lui d’une aventure amoureuse de sa mère. Il en fut tellement chagriné qu’il mit fin à ses jours. Quelques mois auparavant, le 10 mai 1906, Augustin Rodolphe Fisset, frère de la personne assassinée, né le 12 décembre 1850, se suicidait également de la même façon. Son corps fut retrouvé presqu’au même endroit que celui de Marie Louise.

Eugène Ernest et Marie Louise eurent cinq fils dont deux jumeaux . Ceux-ci moururent, âgés de quelques mois, en 1889. Les deux autres fils, âgés de 20 et 22 ans, furent marins et travaillèrent à la compagnie des chargeurs réunis.

L’inhumation des victimes :

L’inhumation des époux Fisset eut lieu le samedi matin à 8 heures. Les deux cercueils, placés côte à côte, avaient été exposés devant la cuisine où la scène sanglante s’était déroulée. L’abbé Dumontier a procédé à la levée des corps qui ont été placés sur le même char. Encore en mer pour une quinzaine de jours, les enfants Fisset n’étaient pas présents. L’un Auguste Théodore, âgé de 20 ans, né le 16 juillet 1886, naviguait sur « L’amiral Fourichon » et l’autre, Louis Théodore, âgé de 22 ans, né le 24 octobre 1884, faisait partie de l’équipage de « L’amiral Hamelin ». En l’absence des enfants, le deuil était conduit par les neveux. Une délégation de douaniers en tenues assistaient à l’inhumation. Beaucoup de curieux se trouvaient sur le passage du char.

Biographie de Paul Joseph Lebourg :

Paul Joseph est né le 23 decembre 1882, à Saint Riquier ès Plains, fils de Séverin Eugène et de Philomène Adèle Christophe mariés le 11 octobre de la même année. Son père décède le 29 janvier 1893, âgé de 54 ans.

Le 18 septembre 1906, après avoir fini son armée, il se retire à Saint Sylvain chez ses parents.

Paul Joseph fut condamné le 21 février 1907 par la cour d’assise à 7 ans de réclusion pour homicide volontaire commis le 2 octobre 1906 et fut exclus de l’armée.

Suite à la mobilisation le 1 août 1914, il fut rappelé par l’armée et partit en campagne contre l’Allemagne du 2 août 1914 au 16 avril 1915.

Paul Joseph se marie le 14 octobre 1916, à Varneville-Bretteville, avec Marguerite Marie Léonne Lacaille, cuisinière.

Epilogue :

Ce fait divers, dont je n’aurais peut-être jamais connu l’histoire, m’est parvenu lors de recherches sur le petit fils des époux Eugène Ernest Fisset et Marie Louise Noël, Louis Jacques Ernest Fisset né en 1908 ; donc deux ans après le drame. Celui-ci, fils naturel de Jeanne Laurentine Gaudry, reconnu par son père Auguste Théodore Fisset, lors de son mariage en 1923, à l’âge de 15 ans, fut diacre et prêtre vers 1935. Rien de particulier en soi, sauf qu’en 1938, il s’est marié à Paris ….................


F.Renout

(Administrateur cgpcsm)

Sources :
Le journal de Rouen, le journal le matin, le journal le petit parisien
Base de données Généacaux et archives de Seine Maritime
Matricule militaire de Paul Joseph Lebourg


Documents joints

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