Pillage de navire

jeudi 30 janvier 2020
par  Francis RENOUT
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L’affaire d’aujourd’hui concerne un marin de Saint Valery en Caux, coupable d’être un des auteurs d’un pillage et de dégâts d’un grand nombre de pièces d’eau de vie provenant d’un navire naufragé sur les côtes du Pays de Caux.

Ce pillage en bande a eu lieu sur la commune de Saint Valery en Caux les 9 et 10 décembre 1815. Un des auteurs arrêté et jugé se nomme Jean Nicolas Lamy, âgé de 46 ans, demeurant en ce lieu. Il est marin, comme ses ancêtres depuis des générations en cette commune.

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Le pillage d’épaves échouées sur la côte est un phénomène extrêmement courant et ancien sur les côtes. Pendant l’ancien régime, l’usage du droit de bris était une pratique courante, bien qu’abusive : le pillage des épaves par les populations littorales, qui cherchaient à s’attribuer ce que la mer rejetait sur les côtes et allaient au « bris » notamment lors des tempêtes est à l’origine de « fortunes de mer ». Un naufrage pouvait donc, au final, s’avérer être une véritable bénédiction pour des zones littorales qui vivaient le plus souvent dans une grande misère.

Dans la plupart des cas, les populations, qui vivaient dans des conditions misérables, ne respectaient pas le privilège seigneurial et profitaient des naufrages pour aller piller les bateaux. Tous participent, sans exception, qu’ils soient paysans, artisans ou commerçants, jeunes, vieux, femmes et enfants, y compris parfois les prêtres et les bourgeois ou notables du coin... Le but est simple : récupérer le plus de marchandises possible avant que l’autorité, l’amirauté, ne parvienne sur le site.

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Si les terriens portaient généralement secours aux équipages, cela n’était pas le cas lorsque ceux-ci tentaient de protéger leurs marchandises. Ils étaient dans ces cas parfois victimes d’actes de grande violence de la part des habitants pour qu’ils puissent récupérer tout ce qui pouvait leur être utile. Colbert, le Secrétaire d’État à la Marine de Louis XIV, crée le corps des garde-côtes à la fin du XVIIe siècle pour enrayer les pillages. Mais ces pratiques ancestrales perdurent dans le dos des gens d’armes jusqu’au milieu du XIXe siècle qui voit le renforcement des moyens de police, de surveillance et de balisage des côtes, et parallèlement, le développement du mythe des naufrageurs.

https://www.dielette.fr/2017/11/27/droit-de-bris-de-gravage-depave-de-lagan-ou-de-varech/

Pour ce qui est de l’alcool, comme dans notre cas, la méthode différait un peu : si les habitants essayaient tant bien que mal de ramener une partie de la cargaison chez eux, fûts et tonneaux étaient également mis en perce directement sur la grève et partagés entre tous les pilleurs. Ces regroupements tournaient régulièrement, lorsque de l’alcool était trouvé, en énorme beuverie ! Des scènes particulièrement agitées donc, entrecoupées de cris, de bagarres, d’invectives, de chants et de rires.

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Plus près de nous, en 1903, le naufrage du "Vesper" est relaté avec force détails par la presse locale. "Une dizaine de fûts furent mis en perce. [...] Pour le soir, tout le monde était gai et des rondes s’organisèrent autour des barriques sérieusement entamées.


Biographie de Pierre Jean Nicolas Lamy :

Pierre Jean Nicolas est né le 25 janvier 1770 à Saint Valery en Caux. Il est le fils de Jean Baptiste, marinier, et de Reine Bazille mariés le 6 février 1769 en ce lieu. Son père est absent au baptême. Celui-ci est peut-être occupé en mer.

Il est âgé de 23 ans quand son père décède le 1 mai 1793. Aîné d’une famille de 5 enfants, il devra en assurer la subsistance.

Sa sœur, ouvrière au filet, sera la première de la fratrie à se marier, le 19 floréal de l’an V (9 mai 1803), à Saint Valery en Caux, avec un marin, François Nicolas Robert.

Dix ans plus tard, alors âgé de 33 ans, il se marie dans ce bourg, le 19 floréal de l’an XI (9 mai 1803), avec Marie Magdeleine Legras, fille de Michel, marin, et de Marie Follin. Tous les témoins sont marins : ses frères Nicolas Sénateur et Louis Augustin , son beau-frère Jean Nicolas Vanneur et son beau-père Michel Legras.

On peut supposer qu’ils habitaient la rue Saint Leger qui était le quartier des pêcheurs à cette époque. Deux tiers des Valeriquais étaient marins en 1840. La mer assurait la subsistance des habitants de la localité depuis des siècles : pêche du hareng, maquereau et de la morue sur les bancs de Terre Neuve.

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La rue Saint Léger fut fondée au XIIIe siècle. Elle fut préservée des bombardements de 1940 qui détruisit une grande partie de la ville de Saint Valery en Caux. C’est une très longue rue bordée de maisons étroites (en grès, silex ou briques) qui traverse une bonne partie de la ville. Si vous levez la tête dans cet ancien quartier des pêcheurs, vous remarquerez un crochet sur chaque maison, juste au-dessus de la fenêtre la plus élevée. On y accrochait les filets au retour de pêche pour les faire sécher. La plupart des habitations disposait de petites cours, parfois d’un potager et d’un poulailler apportant aux familles des pêcheurs un supplément de revenus.

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Aujourd’hui, rien n’a changé dans l’architecture extérieure. Ce quartier populaire, essentiellement habité par de vieilles familles valeriquaises, souvent depuis plusieurs générations, attire depuis quelques années une nouvelle population séduite par le charme des lieux, par la proximité du port et la convivialité des habitants. Les maisons sont rénovées mais les façades ne sont pas touchées. En haut de cette rue, sur la falaise, se trouve le clocher Saint Leger, qui était un point de repère ou amer pour les marins. Ce clocher en grès, datant du XVII ème siècle, fut dynamité au cours de la dernière guerre.

Mais revenons à notre affaire judiciaire ! Pierre Jean Nicolas Lamy fut condamné, le 29 novembre 1816, à 5 ans de travaux forcés. En est-il revenu ? On ne trouve aucune trace de son décès dans les registres de Saint Valery en Caux.

F,Renout
(Administrateur cgpcsm)
R
Sources :
1) Archives départementales Seine Maritime (affaire)
2) Site de Saint Valery en Caux (rue saint leger)


Documents joints

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