Cabaretier, rotier, cabarotier, tavernier et autres tenanciers

vendredi 20 décembre 2019
par  Francis RENOUT
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A bon vin, il ne faut pas de bouchon.

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« La fréquentation du cabaret entraine des maux étranges ; on y mange, on y joue son bien, on y ruine sa santé : on s’y abandonne à toutes sortes de crimes, comme aux jeux excessifs, aux tromperies, aux juremens, aux querelles, aux médisances, aux paroles sales, enfin à l’ivrognerie, qui fait que l’homme n’est plus homme, dit Saint Grégoire. » (Nicolas Thibaut, Prières et instructions chrétiennes, 1737)

Au XII ème siècle, on ne connait qu’un mot pour désigner les lieux où l’on débitait le vin : la taverne.

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Cabaretier est un métier ancien dont voici un aperçu. De tout temps et sous des noms divers, il y a eu des cabaretiers. C’est au XIV ème siècle qu’apparaît le mot cabaret dans un roman de Beaudouin de Sebourc. Au début, pouvait se faire cabaretier qui voulait, en payant certains droits et en se conformant aux ordonnances de police. C’est ce qui est écrit dans le Livre des métiers d’Etienne Boileau au 13ème siècle.

On distinguait, à cette époque, les cabarets à pot et à pinte où l’on ne servait qu’à boire ; les cabarets à pot et à assiette vendant outre la boisson de la nourriture ; les cabarets qui logeaient leurs clients et, en ville, les cabarets bourgeois, qui étaient en fait des maisons bourgeoises dans lesquelles les propriétaires débitaient du vin de leur production, exonéré de tous droits. Les cafés, véritables lieux de réunion, se répandirent dans les villes dès le XVIIIème siècle. Vendre du vin à assiette, c’était le vendre au détail, couvrir la table d’une nappe avec des assiettes et y servir certains mets. Les cabaretiers appartenaient à la corporation des marchands de vin.

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Plusieurs ordonnances faites en 1256, sous Saint Louis, en 1351, sous Jean II et en 1590, pendant la ligue, établirent les droits et le prix du vin. Les statuts de 1587 se composaient de trente articles. En 1647, ils furent confirmés et développés en quarante articles. De nombreuses ordonnances défendaient aux cabaretiers de servir à leurs clients de la viande durant le carême et les vendredis et samedis ; de donner à boire le dimanche pendant la durée des offices. Celle du 26 juillet 1777 leur enjoignit de ne tolérer chez eux aucun jeu et de fermer leurs portes à onze heures en été et à dix heures en hiver.

Ce corps de métier remonte à mars 1577 lorsque le roi Henri III donna des règlements communs aux marchands de vin, aux taverniers, aux cabaretiers, et aux hôteliers. Parmi les ordonnances, on en trouve une pour le moins curieuse : le cabaret était un lieu public, ouvert pour la commodité des étrangers d’où était exclus les habitants du village ; surtout les gens mariés et leurs domestiques. Cette mesure, fruit d’observations et de réflexions, tirait la leçon que l’homme est moins porté aux excès de boisson dans les lieux où il voyage qu’en ceux où il habite. Mais cette ordonnance excessive ne fut jamais suivi et resta sans effet.

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À la différence des taverniers, qui ne pouvaient vendre que du vin à emporter, les cabaretiers pouvaient vendre le vin au détail mais aussi donner à manger. Le cabaretier payait des droits plus élevés que le tavernier. À partir de 1680, une déclaration royale permit aux taverniers de vendre des viandes qui avaient été cuites à l’avance, et ce privilège s’étendit aux marchands de vin.

Pour être cabaretier, il fallait être catholique romain. Cette disposition se trouve déjà en 1587 ; en 1647, elle fut maintenue. Les cabaretiers ne devaient recevoir personne chez eux le dimanche pendant les offices, et de même pendant les trois derniers jours de la semaine sainte. Les officiers de police visitaient les boutiques pour s’assurer de l’exécution de ces règlements. En cas de contravention, les cabaretiers étaient passibles de fortes amendes, et même parfois, s’il y avait récidive, de peine corporelles. L’apprentissage durait quatre ans ; mais deux ans de service étaient nécessaires pour obtenir le titre de maître.

https://www.aprogemere.fr/39-actualites/informations/984-cabaretiers-d-arpajon-1669

En 1695, on ordonna aux cabaretiers de garnir leurs caves de vins divers et de ne pas les mélanger. Ceux-ci transgressèrent les lois et continuèrent même à fabriquer une boisson étrange faite de bois de teinture et de litharge (oxyde naturel de plomb), boisson, qui bien sûr, ne contenait aucun jus de raisins. Le vin était traité avec du plomb pour l’adoucir et le sucrer, cela pouvait entrainer la mort si il y avait trop d’excès.

En 1698, les taverniers purent faire rôtir les viandes mais sans avoir de cuisiniers à gages. Les charcutiers obtinrent l’interdiction pour les taverniers d’élever et de tuer des porcs. Il est à peine utile d’ajouter que cette disposition prohibitive s’appliquait également aux cabaretiers, dont toutes ces ordonnances ne faisaient certainement pas les affaires.

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A partir du XVIIe siècle, les gens aisés se divertirent au cabaret laissant la taverne aux petites gens, c’est en tout cas ce qui ressort d’une lettre royale de 1680 dans laquelle on peut lire " Il n’y a que le menu peuple seulement qui se retire chez les taverniers" . Déjà, à la fin du règne de François I, la taverne prit un sens de plus en plus vulgaire et de nombreux taverniers se muèrent en cabaretiers.

Dans les villes de foires et de marchés, les cabarets tenaient un rôle important car ils servaient de lieux de rendez-vous pour les professionnels qui y faisaient leurs affaires. 

Il fallait une enseigne. La plupart du temps c’était simplement un rameau de verdure, un buisson ou, pour mieux dire, « un bouchon » ; d’où le nom de « bouchon », qui est resté en usage pour signifier un cabaret de chétive apparence et un bistrot. Ce rameau était suspendu au dessus de la porte.

Le cabaretier, derrière un rempart de pots, de pintes, de bouteilles et de brocs servait ses clients. La pinte, mesure dont on se servait pour mesurer le vin et autres liquides au détail, variait de contenance selon les lieux.

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En province, les cabarets devinrent des bistrots (estaminets dans le Nord Pas de Calais) où ils ont un formidable développement. Puis ils ont été mis à mal par les guerres et renversés notamment par l’arrivée de la télévision dans les foyers vers 1945 ; mais surtout vers 1970.

Ramponeaux, le plus célèbre des cabaretiers du XVIII ème siècle :

https://www.paris-bistro.com/univers/cafes-et-histoire/histoire-ramponeaux

Longtemps lieu proscrit par les autorités religieuses sous l’ancien régime et très contrôlé par la police au XIXème siècle, le cabaret est aussi un espace de transgression, d’agitation politique et syndicale où se diffusent parfois des écrits subversifs. C’est aussi un lieu, où les plus miséreux cherchent à oublier leurs peines pour un moment. L’ivresse est la cause d’accidents et de drames.

Simon Morin, le cabaretier prophète au XVII ème siècle :

http://www.paris-anecdote.fr/le-cabaretier-prophete-de-la-rue-neuve-saint-augustin-xviieme-siecle/

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Les cabaretiers pendant les événements de « la guerre du blé » à Yvetot en 1752 :

Cette omniprésence des cabarets dans le royaume de France à l’époque moderne est attestée par plusieurs historiens. François Bluche constate pour la Normandie que même « le plus petit village a sa taverne ». Lieux de communications, d’échanges, de sociabilité, lieux où l’on vient rapporter ses exploits. il est donc fort probable que le cabaret ait joué un rôle important dans les événements contestataires du XVIII ème siècle ; d’autant plus que c’est par « le cabaret que le village voit le monde ». c’est dans ces lieux que « se construit une grande partie de la sociabilité de la majorité des français ». Le récit de Jean Baptiste Lefebvre, jaugeur à Yvetot, atteste ainsi de l’importance de ces lieux lors de ces événements contestataires puisque dans sa déposition il rapporte que le jeudi 27 avril 1752 :

« il fut avec le sieur Queval chez un nommé Adrien Lemercier, cabaretier à Varancelles paroisse d’Yvetot, où dans le temps qu’ils buvoient une chopine de cidre, y arriva bien une soixante de personnes tant hommes que femmes dans la meilleure partie estoit chargée de sacs remplis de grains ».

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Les cabaretiers pendant les événements de la révolution en 1789 :

En 1789, dans le Pays de Caux, Angiens prie le pouvoir royal de : supprimer les Ginguettes et Cabarets qui sont les sources du désordre dans nos Campagne.
Bosville apporte à cette proposition une légère modification : que les Cabarets et guinguettes sources de désordre soient absolument défendus aux domiciliés sous peine de prison et permis aux voyageurs seulement ; tandis que Gonzeville va beaucoup plus loin : qu’il soit fait défense de tenir dans les Bourgs et villages des Caffés Billards et autres jeux publics et des assemblées dans certaines paroisses tous les Dimanches et fêtes sous prétextes de marchés.
Le Cahier Général du Bailliage de Cany tente de trouver une juste mesure : que le nombre des Cabarets soit diminué, et que la fixation de ce nombre soit confiée à chaque Municipalité.

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Quelques familles de cabaretiers du Pays de Caux :

Jacques Guiche, époux d’Anne Barguet, en 1783, à Dieppe, paroisse saint Rémy.
Jean Gaulette, époux de Marie Vautier, en 1730, à Neuville lès Dieppe.
Louis Dehors, époux de Madeleine Justin, en 1735, à Paluel.
Nicolas Haranc, époux d’Adrienne Henry, en 1710, à Criquebeuf en caux,
Adrien Chouquet, époux de Joséphine Lappert, en 1824, à Saint Valery en Caux.
Robert Fossard, époux de Marie Allain, en 1721, à Autretot.
Jean Petit, époux de Marie Delafosse, en 1782, à Saint Denis d’Héricourt.
Jacques Delahaye, époux de Marguerite Deladresve, en 1726, à Yerville.

Au sens premier, un cabaret est un lieu de consommation de boissons et où l’on pouvait manger. Maintenant, c’est un lieu où l’on peut boire, manger et regarder un spectacle. Pour n’en citer qu’un, a été ouvert le 6 octobre 1889, au pied de la Butte Montmartre, le Moulin-Rouge créé par Joseph Oller.
Mais c’est aussi un nom de famille, qui a désigné en ancien français, le lieu ou l’on vient boire. ce surnom s’est appliqué a celui qui tenait un cabaret.

F.Renout
(Administrateur cgpcsm)
R

Sources :
Véronique Lamey Catheline.
Cahiers de doléances du bailliage de cany en 1789.
Paul Maneuvrier Hervieux (les grains de la colère)


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