Empoisonnement au cidre « lithargiré » ou « lithargié »

dimanche 19 octobre 2025
par  Francis RENOUT
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En janvier 1775, un marchand de cidre de Fouques nommé Monbon, se rend à Dieppe. Il vendit beaucoup de cidre dans cette ville. Peu scrupuleux, celui-ci avait falsifié sa boisson.

La vente fut importante. Après avoir bu ce cidre, plus de cent personnes se trouveront très incommodées, ayant des coliques insoutenables. Tous les pères carmes furent très mal. Quatre ou cinq personnes en moururent.

Par ordre du sieur Pierre Bourdon, procureur du roi, au bailliage d’Arques, on ouvra le corps d’une des personnes décédées. On lui trouva les intestins brûlés et l’estomac tout détruit.

On fit décomposer les cidres et on trouva que le mal venait d’une grande quantité de litharge et de céruse que le marchand avait mis dans son cidre afin de le clarifier, de l’adoucir ou de le sucrer. Les sels de plomb possèdent un traître petit goût sucré.

La même chose arriva à Rouen où il mourut beaucoup de personnes. Le seul remède fut une grande diète et beaucoup de lavements au lait. On préconisait de faire un fréquent usage du lait comme boisson. Les personnes pouvaient être malades pendant trois à quatre mois.

Le marchand ne fut pas inquiété. Des visites furent faites chez les cabaretiers. Le marchand perdit une grande partie de son cidre qui fut jeté dans le ruisseau. Cependant, le 27 juillet, il fut condamné à 300 livres d’amende envers le roi et 9000 livres d’intérêt. Trois ou quatre de ses futailles furent brûlées dans le marché par sentence des consuls.

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Il est malheureusement trop facile de falsifier les boissons tels que le vin, le cidre ou l’eau de vie. Le marchand enfermé dans son cellier, compose secrètement ces mixions, y coule la litharge, par avarice ou ignorance. La litharge est l’une des formes naturelles de l’oxyde de plomb. Le vin était autrefois sophistiqué avec de la litharge pour corriger son acidité et lui donner une couleur plus vive. Ce mélange produisait du sucre de saturne (acétate de plomb), poison très efficace qui a connu son lot de victimes. Ces alcools étaient donc à l’origine de très nombreux cas de coliques du au plomb, dont la fameuse colique de Devon (ou colique du Devonshire), crise très douloureuse, voire mortelle. Le premier témoignage de cette maladie date de 1655.

Le plomb était parfois utilisé pour doubler et étancher les cuves ou dans certains ustensiles utilisés pour produire le cidre ou pour le boire:gobelets ou cruches, vernissées d’un mauvais émail riche en plomb, surtout utilisé chez les plus pauvres. Le plomb se dissolvait dans le liquide.

En 1695, on ordonna aux cabaretiers de garnir leurs caves de vins divers et de ne pas les mélanger. Ceux-ci transgressèrent les lois et continuèrent même à fabriquer une boisson étrange faite de bois de teinture et de litharge (oxyde naturel de plomb), boisson, qui bien sûr, ne contenait aucun jus de raisins. Le vin traité avec du plomb pour l’adoucir et le sucrer, cela pouvait entrainer la mort si il y avait trop d’excès.

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Le 5 février 1787, à Versailles, une lettre patente du Roi interdisait d’introduire dans les vins, cidres et autres boissons quelconques, la céruse, la litharge ou tout autre préparation au plomb et au cuivre.

En 1840, un accident épouvantable est arrivé dans la maison des jésuites de Dôle. Une douzaine d’élèves ayant quitté la ville sous la surveillance d’un supérieur, se dirigèrent en promenade vers la campagne du mont Rolland. Là, pour rafraîchir les jeunes gens, un domestique apporta une bouteille de vin. Huit d’entre eux qui en burent avec le supérieur ne tardèrent pas à être pris d’affreuses coliques. Trois heures après, le supérieur succombait. Cet empoisonnement a été attribué à la décomposition de quelques grains de plomb restés au fond de la bouteille.

Francis Renout
(Administrateur cgpcsm)

Sources :
Lazare Bichot (Mémoires pour servir à l’histoire de Dieppe)
Techno science ( https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Colique-du-Devonshire-page-2.html )
F,H,Proulx (boissons alcooliques et falsifications-1867)
F.V.Lebeuf (Du travail des boissons-1879)
Thierry Arcaix (Van Haverbeke- Regards sur l’histoire des peurs alimentaires)